Harcèlement moral dans la Grande Distribution

vendredi 16 décembre 2005, par Webmestre

Articles parus dans l’édition du 07 décembre 2005 de L’Humanité.

16/12/2005

Source :

http://www.france.attac.org/a5831

Leader Price les salariés de la peur

Harcèlement moral. Derrière les prix attrayants du hard discount se cachent des pratiques sociales jouant avec les souffrances psychologiques des salariés.

« Je ne suis ni une machine, ni une merde... Pour vivre, j’ai besoin de respect. »
À onze heures précises en ce samedi de fin novembre, Fatiha et ses collègues du Leader Price de Montreuil (Seine-Saint-Denis) se dressent derrière leur caisse. Pour mettre un coup de pied dans l’humiliation quotidienne de leurs conditions de travail, elles ont décidé de passer à l’action. « On en a marre de se faire insulter, de devoir subir des propos racistes et sexistes », lâche Fatiha, en cri de colère. « Pour un oui, pour un non, la direction nous accuse de vols ou de retards à répétition, et nous force à aller récurer les cuvettes des toilettes », enchaîne Rabiye. Une grève non pour protéger des acquis sociaux ou augmenter les salaires, mais pour demander respect et dignité au travail, les « fondamentaux des droits humains », rappelle Marie.

Comme souvent dans la grande distribution, les femmes représentent l’essentiel du personnel du supermarché. Et comme souvent dans le hard discount, ce sont des mères de famille séparées. Une précision qui pourrait sembler voyeuriste ou misérabiliste si elle n’était la clé de voûte du fonctionnement commercial des hard discounts qui, pour atteindre des objectifs de rentabilité draconiens, flirtent avec la souffrance psychologique de leurs employés ligotés par la précarité. En arrêtant subitement leur travail, les caissières surprennent tout le monde. Les clients d’abord qui, après un temps d’hésitation, passent leurs caddies gratuitement avant de venir soutenir les grévistes. « Je viens au moins trois fois par semaine faire mes courses ici et, depuis quelques mois, je vois systématiquement une caissière pleurer lorsque je fais la queue pour payer », témoigne Régis, un intérimaire devenu peu à peu un adepte du Leader Price de Montreuil. « Pour ses prix bas », comme beaucoup d’autres. « Il faut sans cesse ravaler sa conscience pour aller faire ses achats dans un hard discount », ces magasins où, « pour vendre aux pauvres, on embauche d’autres pauvres qu’on fait bosser à des cadences infernales », se révolte le trentenaire. Lui a « passé » quelques caddies pour les bénévoles de la banque alimentaire présents comme chaque week-end à l’entrée du magasin.

Prévenus de l’action, plusieurs responsables de l’enseigne accourent au magasin de Montreuil pour tenter de calmer le jeu. Mais leur arrivée provoque surtout l’explosion des grévistes, prenant à témoin les clients. « Ils nous changent nos horaires du jour au lendemain en menaçant de nous licencier si on refuse », fustige l’une, visiblement à bout de nerfs. « Avec toute l’humiliation accumulée au long de la journée, le soir, quand je rentre, je suis irritable, et dès que mon gamin tente d’y faire face, je craque », confie une autre, en larmes. Avec l’arrivée du nouveau responsable fin septembre, un changement d’ambiance radical s’est opéré dans le hard discount montreuillois. Sur un effectif total de dix-huit personnes, les mises à pied et avertissements pleuvent. En quelques semaines, plus d’une vingtaine de sanctions tombent sur une quinzaine de salariés. Les principaux visés ? Les onze qui, à cran, ont décidé début octobre de se syndiquer à la CGT. « Ils sont venus nous voir essentiellement dans une optique de défense de leurs droits, pas pour lancer une démarche commune offensive contre leur direction », explique Jean-Paul Decreux, de l’union locale du syndicat.
La loi sur le harcèlement moral ne leur dit pas grand-chose. « De toute façon, les salariés ne veulent pas engager des démarches de longue haleine contre leur employeur, tous ont le même objectif primordial : garder leur emploi pour pouvoir vivre en dehors du boulot », explique Farid, candidat aux élections syndicales.

Face à la détermination des grévistes qui sont « prêts à squatter le magasin si nécessaire », le responsable du magasin (qui se nomme « inspecteur » chez Leader Price - NDLR), au terme d’une longue entrevue avec les salariés, accède à toutes les revendications des grévistes sur la levée des sanctions disciplinaires et le « respect des salariés dans leur dignité ». Des élections de délégués du personnel sont même fixées au 15 décembre. Satisfaits, les salariés reprennent le travail. Mais soulagement de courte durée... Le jeudi suivant, cinq grévistes reçoivent dans leur boîte aux lettres un avertissement pour présence de produits avariés dans les rayons ! « C’est vraiment épuisant car, au moment où l’on croit à une avancée, le processus discriminatoire revient au galop... On ne peut jamais avancer sur le fond ! » déplore Jean-Paul Decreux.
Chronique de la violence ordinaire au travail, les difficultés des salariés de Montreuil pour faire entendre leurs souffrances psychologiques auraient pu être celles des salariés d’un Aldi, d’un Ed ou d’un Lidl. Tristement réaliste, un ancien « chef de réseau » de Lidl explique : « En tant que cadres, notre seul objectif est d’augmenter la productivité, c’est-à-dire faire tourner le magasin avec le moins de personnel possible. Pour y arriver, il faut faire travailler les gens plus vite, plus dur et les pousser à faire des heures supplémentaires non déclarées. » Si ça s’appelle pas du harcèlement moral...

Christelle Chabaud

www.humanite.fr/journal/2005-12-07/...

Une législation récente punit les abus

Inscrite dans la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, la définition du harcèlement moral a fait son entrée dans le Code du travail. Désormais, la législation interdit « les agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits (du salarié) et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » (article L122-49 du Code du travail). Le cadre est assez large : dès lors qu’il a lieu dans le milieu professionnel, l’interdiction vise aussi bien l’employeur que les salariés entre eux. Il n’est donc pas nécessaire qu’il existe un lien hiérarchique entre la victime et son « harceleur ».

De plus, selon le texte, « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement, ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ». Cette protection assurée aux témoins pousse à réduire l’enfermement de la victime sur elle-même.

C’est avant tout à l’employeur de vérifier le respect de l’interdiction du harcèlement moral au sein de son établissement, en particulier en l’inscrivant dans le règlement intérieur. Si le rôle préventif du chef d’entreprise n’est pas effectif, le CHSCT peut prendre l’initiative d’actions de prévention. Les délégués du personnel ont également la possibilité d’exercer leur « droit d’alerte » qu’ils détenaient déjà en cas d’atteinte aux droits ou aux libertés de la personne. La mesure du médecin du travail est quant à elle étendue : il peut proposer des mesures individuelles justifiées par l’état « physique et moral » du salarié, pouvant aller jusqu’à la proposition de modification de poste.

Pour rechercher la conciliation entre les deux parties, une procédure de médiation a été instituée par la loi et peut être engagée par toute personne s’estimant victime de harcèlement. Enfin le salarié concerné ou un syndicat de l’entreprise (avec l’autorisation de ce dernier) peut déclencher une procédure de justice. Le Code pénal sanctionne un acte de harcèlement d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. C’est alors à l’accusé d’apporter les preuves de la non-culpabilité de sa conduite.

Ch. C.

www.humanite.fr/journal/2005-12-07/...

Le management par la peur

Médecin du travail, Gilles Arnaud exerce dans deux hypermarchés.

Quelles sont, dans la grande distribution, les raisons de la souffrance au travail ?

Gilles Arnaud. À Poitiers, dans les deux enseignes nationales dans lesquelles je travaille, il existe une forme de pression psychologique qui est exercée sur la ligne de caisse par l’intermédiaire des caddie-test. Des tests sont en fait organisés par l’entreprise pour vérifier que les caissières luttent contre la fraude. Au milieu d’un caddie bondé, ils ont changé le CD de pochette ou encore mis une bouteille de whisky qui ne correspond pas à sa boîte... C’est un management par la peur, par la peur de la faute. Cette stratégie entrepreunariale fait énormément souffrir les salariés, particulièrement ceux qui s’investissent dans leur travail. Après une réunion en CHSCT, nous avons avec le délégué CFTC réussi à ce que la direction du magasin de Poitiers ne sanctionne pas les salariés en cas d’erreur sur le caddie-test... Mais, nationalement, de nombreux magasins continuent à sanctionner administrativement ou financièrement à l’issue d’échecs sur les caddie-tests.

Avez-vous eu affaire à du harcèlement moral, comme défini par la loi ?

Gilles Arnaud. J’y ai été en particulier confronté avec une responsable qui avait à la fois la charge des ressources humaines et celle de la ligne de caisse dans un des deux magasins. Elle surveillait énormément les caissières en leur faisant des remarques personnelles et des propos humiliants et dévalorisants.

À la moindre erreur, il y avait convocation dans le bureau avec des menaces sur les aménagements des horaires. L’impact a été quasi immédiat sur la santé des membres de l’effectif : troubles du sommeil, anxiété, angoisses, syndrome dépressif... Beaucoup de gens ont craqué et sont partis. Finalement sous la pression de l’inspection du travail, la direction a fini par remercier la responsable.

Et la grande distribution comparée à d’autres secteurs d’activité ?

Gilles Arnaud. Bien entendu, le milieu de la grande distribution représente un terreau fertile de souffrance psychologique au travail. Mais le harcèlement moral est loin d’être absent de certaines branches de l’industrie et, de manière plus surprenante, des structures associatives.

Entretien réalisé par Ch. C.

www.humanite.fr/journal/2005-12-07/...

2 Messages

  • Harcèlement moral dans la Grande Distribution Le 23 février 2007 à 18:43, par chef magasin

    un collectif à été créer pour denoncer les formes de harcèlement chez lidl ! ils intervienent devant les lidls pour distribuer des tracts et faire signée des pétitions !!!un article est sortie sur le journal "politis’ le 22 février, il y a des témoignages de salariés lidl !!!et même sur le sîte rto ou AC il y a des témoignages édifiants !!!

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    • Harcèlement moral dans la Grande Distribution Le 9 mars 2007 à 19:40, par Debèves cécile

      Bonjour, je suis étudiante en droit et je fais mon mémoire sur la harcèlement moral.Au travers de mes recherches je trouve beaucoup de définition de ce phénomène en expansion.Comment cela se fait il qu’il y a encore plus de harcèlement après sa reconnaissance par la loi du 17 janv 2002.Peut être que le réel effet de la loi n’est pas la répression mais le soulévement des harcelés.J’espère que la parole de ceux ci va pousser les pouvoirs publics à une nouvelle loi !

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