Les intégristes libéraux, le « contrat nouvelle embauche » et l’explosion qui vient, par Gérard Filoche.

mardi 23 août 2005, par Webmestre

11 août 2005

"70% des contrats sont des CDD et la moitié de ces contrats ne durent pas plus d’un mois (...) Entre ces contrats qui sont une forme aiguë de précarité et le contrat que nous proposons, il y a un fossé. Donc, c’est un progrès tout à fait considérable", affirme M. de Villepin pour justifier son nouveau « Cne » contrat de nouvelle embauche...

Une plus grande précarité à plus bas salaire :

Oui, il y a un fossé, en effet. Mais si 70 % des contrats à l’embauche sont sous Cdd pourquoi en inventer d’autres encore plus précaires ? En fait, parce que les contrats sous Cdd, même d’un mois (et ils ne peuvent durer plus de 18 mois au total) sont à TERME FIXE, l’employeur est obligé de garder le salarié jusqu’à ce terme sauf cas de force majeure ou de faute du salarié, mais alors il faut qu’il procède à la rupture du contrat de façon régulière (une lettre d’entretien préalable, une lettre de licenciement motivée) et un recours reste possible de la part du salarié (qui peut demander d’être payé jusqu’au TERME prévu).

Mais rien de tout cela avec le Cne : le salarié pourra être « viré » à n’importe quel moment, jusqu’à la veille des deux ans, du 730° jour, sans motif, sans procédure autre que l’envoi d’une lettre recommandée. Donc, à tout moment, l’insécurité de l’emploi règne. La précarité est plus grande évidemment que dans les 70 % de cas de Cdd cités par Villepin. Au lieu d’un contrat à durée fixe, c’est un contrat aléatoire. Au lieu d’un Cdi, c’est un contrat dont la rupture est sans motif...

Tandis qu’avec le Cdd, s’il est de six mois, un contrat est de six mois, point c’est tout, au moins le salarié est-il sûr du « terme » (renouvelable cependant une fois dans certains conditions pourvu que cela ne serve pas à occuper un poste permanent de l’entreprise...).

Tandis qu’avec le Cdi, passé la période d’essai limitée à un mois (trois mois pour les cadres), il faut, pour mettre fin au contrat, suivre une procédure d’ailleurs simple : une lettre pour un entretien préalable, l’entretien, puis une lettre de licenciement dûment motivée...)

Avec le Cne le salarié s’endormira chaque soir pendant deux ans sans savoir s’il aura du boulot jusqu’au lendemain soir... le plus important du Cne de Villepin, c’est que la rupture du contrat n’a pas à être justifiée pas à être motivée, et qu’il n’y a pas de recours possible...

M. de Villepin prétend qu’il y aurait des contreparties spéciales : un préavis de deux semaines sera accordé au salarié qui justifie d’une ancienneté d’un à six mois. Il atteindra un mois pour une durée d’activité de six mois à deux ans. C’était déjà en général le cas, sauf mieux dans les conventions collectives.

Il nous est dit aussi que l’employeur devra s’acquitter d’une indemnité de rupture égale à 8 % du montant total de la rémunération brute du salarié, exonérée d’impôt et de cotisations sociales. Dans le cas d’un Cdd, cette « indemnité de précarité d’emploi » était de 10 % sur le salaire brut inclus les cotisations sociales. Il s’agit donc d’une baisse substantielle des petits salaires des précaires concernés lors de la rupture du contrat. Non seulement le salarié peut être viré sans motif, mais cela coute moins cher à l’employeur qu’un Cdd.

Il est dit aussi qu’une contribution de 2 % de la rémunération brute du salarié sera également versée aux Assedic, pour financer le reclassement du salarié. Pour éviter les fraudes, l’entreprise devra observer un délai de carence de trois mois, entre la rupture du contrat et la nouvelle embauche d’un même salarié. Tout va donc dépendre de l’efficacité du contrôle... On soulignera qu’un tel délai de carence, à peu de chose prés existait entre deux Cdd... (le temps qui séparait deux contrats devait être égal au tiers du temps du premier contrat).

Fausses garanties, reculs en fait :

On nous dit aussi que le salarié licencié, percevra quant à lui, une "allocation forfaitaire" dont le montant et la durée seront fixés par décret. La durée d’activité nécessaire pour l’obtenir devait y être également précisée. Jean-Louis Borloo, le ministre de l’Emploi, avait annoncé qu’une période de quatre mois d’activité (au lieu de six actuellement) serait suffisante.

Mais le journal Les Echos annonce : « En cas de rupture du CNE, les salariés qui ont travaillé moins de quatre mois ne disposeront d’aucune allocation chômage. S’ils ont travaillé de quatre à six mois, ils toucheront de l’État une indemnité forfaitaire de 16,40 euros par jour ».

Mais la durée de cette indemnisation, « qui vient d’être arbitrée » et précisée par une ordonnance parue, mi août, sera limitée à un mois. Il faudra avoir atteint une durée d’activité en CNE de six mois à deux ans pour prétendre à l’indemnisation classique de l’Unedic.

Donc, il n’y a aucune contrepartie au licenciable sans motif.

Le Medef, qui prône depuis longtemps un assouplissement des procédures de licenciement,veut que le contrat nouvelle embauche soit étendu à l’ensemble des entreprises mais M. de Villepin l’a maintenu aux seules entreprises de moins de 20 salariés tout en ouvrant la possibilité ultérieure de l’étendre.

Or cela fait quand même un champ immense : ce sont 2,4 millions d’entreprises qui sont concernées (1,2 million n’ont aucun salarié ; 1,1 million ont de 1 à 10 salariés ; 106.000 ont entre 11 et 20 salariés) sur 3,5 millions d’entreprises théoriques en France.

Le Fmi d’ailleurs, appuie le Medef : « Le Cne sera d’autant plus efficace dans la réduction du chômage qu’il sera moins limité dans sa durée et son champ d’application et qu’il conduira à intégrer les contrats de travail préexistants en un seul » ; mais de quoi se mêlent-ils ces rapaces qui accroissent depuis deux décennies la misère du monde ?

Jouer sur les instincts les plus vils de l’exploitation

Ce nouveau contrat de travail échapperait aux conventions collectives portant sur le CDI. Au bout de la période d’essai de deux ans, il nous est dit que le CNE ne se transformerait pas en CDI mais demeurerait un CNE, avec des droits et des devoirs identiques au CDI. Qu’est-ce à dire ? Que le droit du licenciement sans motif est instauré sur toute la durée d’un contrat ? Toute la vie ?

On nous dit, côté gouvernement, que la « période d’adaptation professionnelle de 24 mois », au cours de laquelle le contrat pourrait être rompu, semble devoir offrir davantage de souplesse et une relative sécurité juridique aux employeurs : qu’est-ce à dire sinon que cela offre aux employeurs l’arbitraire le plus total, la possibilité de virer sans motif, d’abuser sans être jamais sanctionné ?

Enfin, pour aider les chefs d’entreprise à surmonter le seuil des dix salariés, l’Etat prendra en charge le surcoût de cotisations sociales liées au passage de neuf à dix salariés et ce, jusqu’au vingtième. Montant de l’économie pour l’employeur : 5 000 euros en moyenne par an.

En ce qui concerne l’embauche les jeunes de moins de 25 ans, il nous est dit que leur présence dans l’entreprise n’entrera plus dans le décompte des seuils d’effectifs de dix et cinquante salariés. Or des élections de délégué du personnel ne sont prévues qu’à partir de 11 salariés : cela revient à diminuer encore les possibilités d’avoir des délégués du personnel dans 1,2 million d’entreprises ou il y en a déjà très peu : on donne aux employeurs la garantie qu’ils n’auront pas d’élus du personnel, pas de salarié protégé ni syndiqué... Cela est contraire à la constitution française qui affirme que les salariés sont représentés par leurs délégués, à la Convention n°158 de l’Oit et l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui posent l’obligation de justifier d’un motif de licenciement. Ainsi comme le dit la Cgt, le gouvernement supprime l’exercice des droits de la défense face à une menace de licenciement abusif, il interdit un contrôle effectif par un juge et prive le salarié de toute indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, il remet en cause des principes fondamentaux issus de la Déclaration des droits de l’homme et maintes fois réaffirmés par le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’Etat.

Le fond c’est que M. de Villepin croit que pour favoriser l’emploi, il faut donner des pouvoirs absolus à l’employeur, il fait appel à ses plus bas instincts, lui donnant carte blanche pour tout abus. Ainsi, un employeur pourra licencier impunément pour un motif illicite : maladie, grève, opinion, acte de la vie privée, etc. Pendant deux ans si vous êtes en Cne, ne soyez pas malades, n’ayez pas un frère syndicaliste, ne comptez pas vos heures, ne refusez rien au patron, ne vous retirez pas d’une situation de danger, si vous êtes femme ne soyez pas enceinte...

Dernier point : « Les seniors ne sont quant à eux pas oubliés », nous dit-on, puisque la contribution Delalande est supprimée. Laquelle taxait les entreprises licenciant un salarié âgé de plus de 50 ans : cela visait à freiner les abus si fréquents consistant à licencier un « senior » pour prendre un jeune à moindre coût. On nous dit que c’est pour encourager l’emploi : gageons du contraire, cela va augmenter et faciliter le coût des licenciements des plus de 50 ans. Ajoutons quelque chose : le fait d’allonger la durée du travail sur la vie, en maintenant les « seniors » au travail, va accroître le chomâge des jeunes...

De façon générale, d’ailleurs, on ne voit pas ce qui va créer de l’emploi dans l’ensemble de ce dispositif : en fait, il vise à donner des gages « pourris » aux petits patrons (et par voie de conséquence aux donneurs d’ordre des grandes entreprises qui « externalisent ») mais ne joue ni sur l’aubaine, ni sur les besoins, ni sur la croissance.

Cinq autres ordonnances, tout pour l’employeur, contre les salariés :

Outre l’ordonnance sur le CNE, qui supprime tout droit en matière de licenciement pour les entreprises de moins de vingt salariés, sont publiés au JO cinq autres ordonnances.

Celle qui prévoit la suppression des salariés de moins de 26 ans dans le calcul des seuils sociaux (de 10, 20, 50 salariés et allégent les obligations des entreprises en matière de représentation du personnel) n’a rien à voir avec l’emploi : elle est uniquement antisyndicale !

Le but est le même : empêcher le salarié de se défendre, de faire valoir ses droits, de disposer en échange de sa « subordination juridique » à l’employeur de contre parties démocratiques et sociales. Donner l’impression au petit employeur qu’il pourra embaucher impunément sans « risquer de syndicat », sans être contraint de respecter la loi, sans être obligé de discuter avec ses subordonnés. C’est un encouragement à la tyrannie. A l’exploitation sauvage. A la loi de la jungle. Au droit de cuissage : qu’une femme refuse et elle peut être licenciée sans motif, son licencieur ne relèvera même pas de la loi : il suffira qu’il nie.

Pourtant ce qui caractérise un contrat de travail c’est la « subordination » : il n’y a pas égalité entre le salarié et l’employeur, le premier est déjà fondamentalement subordonné au second.
Le droit du travail, le droit syndical ne sont que des contreparties à cette subordination (qui ne remettent pas en cause celle-ci). Les ordonnances Villepin rognent ces contre parties, pour augmenter la subordination et la rendre plus forte... En fait tout cela, c’est un recul de l’état de droit dans l’entreprise, c’est une recul des droits démocratiques fondamentaux des salariés, c’est une machine à mieux exploiter sans que les victimes salariées ne puissent se défendre :

Les quatre autres projets d’ordonnance concernent la simplification des démarches administratives à l’embauche dans les entreprises de moins de 5 salariés.

En fait c’est l’extension du « chèque emploi service » : pas de « DPAE », (« déclaration préalable à l’embauche ») pas de contrat, pas de convention collective, pas de code du travail, l’embauche à l’heure, le « loueur de bras » du 19° siècle est revenu. « Quand tu veux, je veux, quand je ne veux plus, t’as plus de boulot ». Il nous est dit que c’est contre le travail illégal : c’est le contraire, le travail illégal dissimulé, va se développer, tout contrôle devenant impossible : « vous m’interrogez sur cette personne qui travaille chez moi ? je ne l’ai pas déclaré, normal, j’allais justement envoyer le chèque emploi service »...

Cela concerne les « entreprises de moins de 5 salariés : c’est à dire 1,2 millions d’entreprises dites « individuelles » qui, jusqu’à présent n’ont aucun salarié, et probablement autour de 5 à 700 000 autres entreprises qui ont déjà un salarié. Le plus dur à contrôler, le plus dur à faire prévaloir le droit : M. de Villepin y diminue encore le droit.

Une des ordonnances prévoit « l’octroi d’un crédit d’impôt pour les jeunes travaillant dans des professions qui peinent à recruter » : dans le bâtiment, la restauration, l’agriculture. C’est vrai, il y a difficulté de recrutement. Pourquoi ? parce que le travail y est trop dur, trop long et trop mal payé. Les majors du bâtiment, l’agro alimentaire, les cafés hôtels restaurants vont encore accroître leurs profits au détriment des conditions de travail de leurs sous-traitants : si on veut y orienter les jeunes, payez mieux, améliorez les conditions de travail, donnez du prestige et l’intérêt au métier. Là, on va encore donner l’argent à M. André Daguin, patron réactionnaire de l’hôtellerie restauration, sans créer d’emploi.

Il est prévu la neutralisation du coût financier lié au franchissement du seuil de 10 salariés : même chose que le seuil des délégués du personnel et des droits syndicaux, on va aider à embaucher « sans droits » en donnant de l’argent public donc des impôts tirés des salariés...

Enfin il est prévu la création d’un dispositif d’insertion pour les jeunes sur le modèle du service militaire adapté : Mme Alliot-Marie s’est fait une « pub » télévisée d’enfer sur ce sujet, mais il est question pour l’heure de 250 jeunes en septembre, et peut-être de 20 000 d’ici trois ans, histoire de les attirer à l’armée qui peine à recruter, pour la future guerre contre l’Iran.

Reste la suppression des limites d’âge dans la fonction publique : bien forcée, la moyenne d’activité d’un fonctionnaire est de 33 ans dans sa vie. Pas parce qu’il est fainéant, est-il besoin de le dire, mais parce que la majorité des fonctionnaires sont cadres et font des études jusqu’à 25 ou 26 ou 27 ans, et qu’il ne reste que 33 ans d’active jusqu’à 60 ans. Comme la barre pour atteindre une retraite à taux plein a été mise à 40 annuités de cotisations, il faut bien lever la barrière d’âge fixée à 60 et à 65 ans et permettre de travailler jusqu’à 67 ans... (dire qu’en 1972, il ne fallait que 30 annuités pour atteindre une retraite à taux plein, la France est deux fois plus riche, et on recule de 10 ans pour la retraite...)

Villepin ne s’intéresse qu’aux petites entreprises mais de la pire des façons : car en 2000, année miracle de notre économie et de l’emploi, 643 000 emplois crées, + 4,3 % en un an, record historique, le chômage avait baissé, stimulé par les 35 h et un début de redistribution (insuffisant !), la précarité reculait (moins d’intérim, moins de cdd) les Cdi s’allongeaient, et c’étaient les grosses entreprises qui recrutaient pas les petites !

Ce qu’il faut, c’est comprendre que les petites viennent trop souvent de l’externalisation artificielle des grosses, et que les donneurs d’ordre contournent déjà seuils sociaux et conventions collectives par ce procédé : cela leur sert à augmenter le chômage et l’exploitation qui vont de pair. En fait pour rétablir de l’ordre public social et de l’emploi, il faut régulariser la sous-traitance, assurer la réalité des entreprises... (cf contribution « alternative socialiste »)

Des salariés bien payés, bien formés, bien traités, bien protégés, font une meilleure économie que des salariés, aux abois, surexploités, stressés.

En un mot il faut reprendre au capital tout ce qu’il a pris aux salariés dans les deux dernières décennies.

Il faudrait au contraire de ce que fait de Villepin, rétablir du droit : car c’est le droit du travail qui crée du droit au travail. Il faut revenir aux 35 h véritablement pour tous. Il faut revenir à la retraite à 60 ans à taux plein. Il faut augmenter les salaires, et rétablir ainsi la croissance, et la protection sociale. `

Le forfait jour pour tous

A cela s’ajoute la loi Dutreil sur les PME-TPE : passée inaperçue, mais votée le 16 juillet 2005, c’est une attaque supplémentaire contre la durée légale du travail fixée à 35 h et contre la durée maxima fixée à 48 h, dans le sens de « l’opt out » Définition sur Attac France (hors normes) britannique qui permet de travailler au-delà, et de la directive européenne en discussion qui veut porter l’horaire de travail hebdomadaire à 78h. Le forfait jour a été étendu grâce à un amendement de l’Ump à toutes et à tous.

Qu’est-ce que le forfait-jour ?

Une invention intolérable (et que nous avons été nombreux à dénoncer à l’époque) de Martine Aubry, qui permettait aux cadres « autonomes » , supérieurs » de déroger à tout calcul des horaires à la semaine et à la journée, pour en revenir à un calcul annuel. A cause du forfait jour vous n’aviez plus de limite journalière (la durée maxima du travail est de 10 h) ni hebdomadaire (la durée d’ordre public maxima est de 48 h). Il ne reste que la contrainte de 11 h de repos quotidien (introduite dans le Code en 1999 et confirmée par directive européenne) (mais attention le temps de trajet fait partie de ces 11h ). `

Le forfait jour peut donc amener des « cadres » à travailler 13 h par jour (24 h - 11 h de repos quotidien). Ce, pendant 6 jours consécutifs (un repos après 6 jours reste d’ordre public, mais sachant que ces 6 jours se comptent à la semaine cela veut dire 12 jours de suite possible de travail, sans repos, puis deux jours de repos). Le salarié étant subordonné, seul l’employeur est maître de ces horaires. Si on calcule en absolu, vous pouvez être amené à travailler 2380 heures dans l’année au lieu de 1607 h durée légale actuelle (inclus le lundi de Pentecôte), et comme on ne compte plus les horaires, qu’il s’agit d’un forfait, il n’y a pas d’heures supplémentaires décomptées, majorées.

Certes, il y a des conditions restrictives : l’usage du forfait jour dans une entreprise relève obligatoirement d’un accord signé avec un syndicat, ensuite, il ne s’applique qu’aux cadres « dont on ne peut pas prédéterminer l’horaire ». Il est vrai qu’on peut quasiment « prédéterminer » l’horaire de tout salarié ( on sait à quelle heure s’ouvre et se ferme un portable, un ordinateur, se signe un contrat, etc...) mais les patrons ont interprété le forfait jour de façon extensive, sans rentrer dans ce genre de détail...

Il reste aussi des recours contre le forfait jour mais ils sont paradoxaux : en effet, s’il est établi que le « forfait-jour » sert à outrepasser les droits du salarié, à lui faire faire des heures supplémentaires abusives, il peut être imposé à l’employeur de recalculer les heures et de majorer les heures supplémentaires au-dessus de 1607 heures. Mais comment arriver à un tel décompte avec un « forfait » ? Quels instruments de contrôle ? Il faut faire un procès, qui a les moyens de le faire... sans se faire virer, ou mal voir ? En fait le salarié cadre sous forfait jour est livré à l’arbitraire en matière d’horaires.

Ce « forfait jour » remettait en cause la « journée de 10 heures » (conquise au début du 20° siècle) et il remettait même en cause la première législation en matière de durée du travail datant de Philippe Le Bel qui avait interdit aux seigneurs de faire travailler les paysans avant le lever et après le coucher du soleil.

Depuis 2002, Fillon, Larcher, l’Ump ne cesse d’étendre le forfait jour : alors qu’il était censé être limité aux cadres supérieurs, autonomes, il a été étendu à tous les cadres, même ceux dont l’horaire était calculé et prédéterminé depuis longtemps... Ensuite, il a été étendu par M. Fillon aux « salariés itinérants » ce qui fait beaucoup : les commerciaux, les Vrp, les agents d’entretien (informatique, électro ménager, etc.) les livreurs, les déménageurs, etc.

Et voilà qu’un intégriste de l’Ump, le député......... a, en plein été, sans débat, d’un amendement subreptice, à l’Assemblée nationale, enlevé le mot « itinérant » laissant seulement le seul mot salarié : donc le forfait-jour peut s’appliquer dorénavant à TOUS les salariés.

Ce qui est un recul considérable en matière de durée du travail, puisqu’il peut nous ramener (avant Philippe Le Bel) avant le milieu du 19° siècle, quand les travailleurs se battaient pour la journée de 12 h puis de 10 h (début 20° siècle) puis de 8 h (front populaire).

« Mais ce n’est rien », disent ces intégristes libéraux, « puisqu’il y a des conditions au forfait jour » !

Mais comme ces conditions, hélas, en pratique, ne sont pas respectées, difficilement contrôlables, et encore moins sanctionnables ( 427 inspecteurs du travail, des prud’hommes insuffisants et surchargés, 2 à 3 % de syndiqués dans le privé, environ 50 000 entreprises avec un comité d’entreprise et des délégués, 423 000 salariés protégés sur 17 millions de salariés, rien ou quasiment rien dans les entreprises de moins de 50 salariés - qui emploient 8 millions de salariés (un sur deux).

Et on nous dit « tous les patrons ne sont pas mauvais...

« les salariés ne sont pas tous bons non plus »...

Et encore « s’il y avait des abus aussi terribles que vous le dites, les gens ne se laisseraient pas faire »...
Etc...

Mais comme le salarié est subordonné et qu’il y a chantage à l’emploi, les salariés n’ont pas le choix, ce sont eux et eux seuls qui trinquent : la « concurrence » prétendue « libre et non faussée », les soumet à une compétition farouche, et ils doivent accepter une souffrance croissante au travail. La France est le pays où il y a la plus forte productivité au travail : mais c’est parce que des millions de salariés, cadres ou non, sont soumis à une exploitation éhontée qui va en s’accroissant, que cette productivité est si élevée. Des millions de salariés français travaillent « comme des chinois » ! Et les salaires ne suivent pas en retour, ils sont eux aussi diminués à l’avantage des profits du capital.

L’état de droit est violé quotidiennement dans les entreprises, plus d’un patron sur deux est déjà un délinquant qui ne paye pas les heures supplémentaires au taux légal, et l’Ump, de Villepin sont en train de leur faciliter les choses. Ils diminuent les salaires en même temps qu’ils augmentent les charges de travail et suppriment les protections de l’emploi.

On trouve aujourd’hui dans les entreprises des méthodes de management hiérarchiques aberrantes par quotas, objectifs, qui ne tiennent plus compte d’aucune limite humaine, comme si on était en état de guerre, et cela se généralise dans les métiers les plus divers, pas seulement dans la restauration, l’agriculture, le transport, le bâtiment, l’industrie, les cadres, les services, mais dans les banques, les assurances, partout. Les salariés ont peur. Les salariés souffrent. Les hiérarchies ne s’arrêtent pourtant plus de piétiner les salariés, ils les dévalorisent, expliquent qu’il est normal qu’ patron gagne 6 à 700 fois plus qu’un salarié, même lorsqu’il coule son entreprise, ils ne réinvestissent pas les bénéfices, versent tous les gains aux actionnaires, et redemandent toujours plus de productivité, faisant courber l’échine à chacun et s’appuyant sur une propagande, une idéologie véhiculée par 90 % des médias, et presque 100 % des économistes de la « pensée unique ».

C’est aussi à cela que les Français ont dit non héroïquement à 55 % le 29 mai. C’est ce qui rend la situation intenable durablement : entre les intégristes du libéralisme à la Villepin, Larcher, Seilliére, Parisot, et le rejet puissant déterminé, profond de ce système par l’immense majorité du peuple,(quatre fois de suite depuis quatre ans, dans la rue, dans la grève et dans les élections 2002, 2003, 2004, 2005) il y a une explosion sociale annoncée.

Gérard Filoche, Inspecteur du Travail,

11 août 2005

PS : Vianson Ponté avait dit une énormité en février 1968 lorsqu’il avait écrit : « La France s’ennuie ». La France ne s’ennuyait pas, elle était en train d’exploser, la vapeur s’accumulait depuis la grève des mineurs en 1963, les grandes journées « contre les ordonnances, des 17 mai 1966 et 1967, le vote à gauche (à un siége prés la gauche était majoritaire au Parlemen) en mars 1967) et leschiffres montants des grèves avec des explosions ponctuelles (Rodhiaceta, Redon, Saviem : dans ce dernier cas, 8 jours d’émeutes de jeunes ouvriers).

La courbe annonçait mai 68, le mouvement social précédait, déterminait et de loin, le mouvement étudiant.

Aujourd’hui depuis l’an 2000, c’est encore plus net, tout est ascendant, et pousse à l’affrontement entre les dominés, exploités, victimes de l’ultra-libéralisme et les actionnaires qui n’ont jamais été aussi riches et aussi égoistes. Le vote du 21 avril 2002, qui était un vote exigeant davantage de la gauche, la manifestation du 1er mai 2002, les 30 millions de jours de grève et l’immense bataille des retraites en 2003, les votes des 28 mars et 13 juin 2004, les mouvements sociaux des 18-20 janvier, des 5 et 10 mars 2005, le vote du 29 mai 2005...)

Et réfléchissez au sens des grèves - nouvelles et exceptionnelles - de précaires et de salariés en souffrance : Carrefour, Accor...

La France n’a jamais connu autant de bénéfices pour ses entreprises en 2003 et 2004 : 57 milliards d’euros en 2004, autant dans le premier semestre 2005. + 17, 5 % , 4500 points en plus depuis le 1er janvier 2005. Total, c’est 9,5 milliards d’euros en 2004, légèrement plus qu’en 2003, mais Vinci, la société générale, Michelin, Saint-Gobain, Schneider, havas, Accor, sont des Eldorado. Jamais la France capitalise n’a été aussi riche, aussi prospère, jamais ceux qui créent les richesses de ce pays n’ont aussi maltraités, lésés, exploités, spoliés, agressés.

Source : Bellaciao

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