Ghana, les compagnies prennent l’eau, par Peuples Solidaires (février 2005) Extrait de la Lettre d’attac 45 n°29, février/mars 2005

« L’eau n’est pas un bien marchand, mais un patrimoine commun de l’humanité », ont réaffirmé les associations de solidarité internationale françaises lors du G8 d’Evian en juin 2003. Le Comité des Nations Unies pour les droits
économiques, sociaux et culturels n’a-t-il pas reconnu l’accès à l’eau et à l’assainissement comme un droit fondamental de l’être humain ? Pourtant, aujourd’hui encore, un milliard et demi de personnes dans le monde n’a pas accès à l’eau potable. Au-delà des contraintes techniques, c’est bien d’une question économique et politique dont il s’agit. Notamment lorsque les pays
du Sud, sous la pression des Institutions financières internationales, privatisent la distribution de l’eau, sans tenir compte ni des besoins, ni des préoccupations exprimées par les citoyens. Ainsi, au Ghana, la Coalition
nationale contre la privatisation de l’eau se mobilise contre le projet de confier à de grandes multinationales la gestion du service de l’eau en milieu urbain. Cette coalition a reçu le soutien de plus de 330 organisations
à travers le monde. Et nous avons un rôle essentiel à jouer car des entreprises françaises pourraient se porter candidates à cet appel d’offres.

Au Ghana, plus de 50 % de la population vit avec moins d’un euro par jour. Un tiers des habitants n’a pas accès à une eau saine et 70 % n’a pas accès aux services d’assainissement. Une étude récente menée par le Ghana based Integrated Social Development Center (ISODEC) dans cinq quartiers de la capitale Accra démontre que les ménages pauvres consacrent entre 18 et 25 % de leur
revenu au seul paiement du service de l’eau. Dès lors, comment imaginer que, pour des raisons de rentabilité, l’eau devienne encore moins accessible ?

C’est pourtant ce qui risque d’arriver si le processus en cours se poursuit. Les premières “réformes” du secteur, et notamment la politique de « recouvrement des coûts » promue par la Banque mondiale, ont déjà entraîné le doublement des prix de l’eau en trois ans ! L’objectif clairement affiché
est de privatiser la gestion du service. Quitte à ignorer l’avis et nier l’intérêt des premiers concernés, à savoir les consommateurs et citoyens ghanéens.

Une coalition nationale contre la privatisation

Pour mieux se faire entendre, les Ghanéens ont lancé une Coalition nationale du Ghana contre la privatisation en 2001. Cette coalition représente une grande diversité d’organisations de la société civile : syndicats, étudiants, organisations féminines, groupes écologistes, employés du secteur de la santé, associations communautaires... Elle est parvenue à rompre la passivité et à briser le silence qui entoure le processus de privatisation.

Dans un document intitulé « Pourquoi la privatisation au Ghana doit être stoppée » , ces citoyens reconnaissent que le secteur public de l’eau doit être réformé d’urgence. Mais ils estiment que tout changement doit d’abord avoir pour objectif de garantir pleinement le droit à l’eau potable. Or le projet proposé par la Banque mondiale est jugé insatisfaisant pour quatre raisons. Premièrement, il résulte d’une vision étroite de la “réforme”, vue
sous le seul angle de la libéralisation, et cela sans avoir étudié les autres modes de gestion envisageables. Deuxièmement, il est largement imposé par des intérêts extérieurs à travers un processus opaque et en l’absence de
tout débat démocratique. Troisièmement, il représente un mauvais choix financier car il alourdira la dette du pays (un prêt de 103 millions de dollars est prévu), et technique car il néglige le système d’assainissement. Enfin, les conditions tarifaires envisagées risquent de priver les pauvres de l’accès à une eau saine.

Des précédents catastrophiques

Les exemples des effets néfastes de la privatisation de l’eau sur les populations ne manquent pourtant pas dans le monde. Plusieurs multinationales ont déjà joué un rôle majeur dans ces privatisations : la française Suez - Lyonnaise des Eaux (en Argentine et aux Philippines), l’anglaise Biwater (en Afrique du Sud), la nord-américaine Bechtel (en Colombie)... Au final, le prix de l’eau augmente, et ceux qui ne peuvent plus payer ne bénéficient plus du service.

Les Ghanéens savent donc ce qui les attend si le projet de privatisation dans leur pays aboutit. C’est pourquoi ils font appel à des réseaux internationaux pour appuyer leur lutte. Plusieurs organisations demandent ainsi à la Banque mondiale de tenir enfin compte de l’avis des populations.
Il s’agit aussi de dissuader les multinationales de l’eau qui pourraient être candidates pour obtenir le contrat de gestion.

Une organisation basée en Grande Bretagne, le World Development Movement (WDM) se charge de contacter la firme anglaise Biwater.

Les trois autres firmes potentiellement intéressées sont françaises : Suez (Lyonnaise des eaux), Véolia (ex-Vivendi environnement) et SAUR (Bouygues). Avec l’association Les Amis de la Terre, le Réseau-Solidarité de Peuples Solidaires se mobilise donc pour leur demander de ne pas s’engager dans un projet qui menace les droits économiques, sociaux et culturels des populations.

Communiqué de presse de l’association Peuples Solidaires.