Les monnaies complémentaires font partie des solutions à la crise (financière, écologique et sociale, démocratique, etc.)

Par Jean Gadrey, Professeur honoraire d’économie à l’Université Lille 1.

Lorsque, en janvier 2002, mon ami Patrick Viveret publie un rapport (auquel j’ai un peu contribué, avec d’autres, dont Dominique Méda) « Reconsidérer la richesse » (téléchargeable via ce lien), il y fait figurer, à côté des développements consacrés aux nouveaux concepts et indicateurs de richesse, des réflexions sur les monnaies alternatives, les « nouveaux systèmes d’échange » ou les « monnaies affectées ». Et il s’efforce de relier ces deux approches de la richesse et des monnaies. De nombreuses propositions figurent dans ce rapport, qui sera vite enterré après les élections de 2002, mais dont l’essentiel reste étonnamment pertinent aujourd’hui, 14 ans plus tard.

Pour être franc (si je puis dire…), j’étais à l’époque très peu sensible à ces incursions du côté des « petites monnaies », dont l’importance me semblait comparable à celle de l’argent de poche au regard des grandes monnaies mondiales. Les seuls enjeux n’étaient-ils pas ceux de la reprise en mains de l’euro et de sa banque centrale, de mesures propres à mettre à bas les paradis fiscaux et la spéculation financière, dont la taxation des transactions, etc. ? Mais je n’ai pas exprimé ces réserves autrement que par un silence poli, me disant qu’après tout, n’y connaissant rien à ces machins bizarres, j’avais peut-être tort de les ignorer.

J’avais en effet complètement tort, et il m’a fallu quelques années pour m’en rendre compte. Une fois de plus, les réflexes conditionnés de l’économiste de formation (et donc de déformation) social-keyneso-marxisto-institutionnaliste m’avaient joué un mauvais tour. Je n’avais pas vu ce que des « alternatifs » anthropologues, sociologues, philosophes ou tout simplement militants de base avaient repéré comme des innovations sociales pouvant contribuer à changer la donne autrement que par des impulsions venues d’en haut (sans renoncer pour autant à de telles impulsions, via des alliances politiques).

Quatorze ans plus tard, les monnaies complémentaires, les monnaies dédiées ou affectées, les systèmes d’échange locaux ou SEL (qui ne sont pas fondés sur des monnaies complémentaires à l’euro, bien que les échanges, de type entraide réciproque, utilisent une unité de compte, souvent une unité de temps) ont le vent en poupe. Tout comme d’autres initiatives pour la plupart impulsées d’en bas, par des collectifs de la société civile, parfois avec l’appui d’élus locaux, parfois avec un coup de main législatif opportun comme ce fut le cas en juillet 2014 avec la « loi Hamon » sur l’économie sociale et solidaire (article 16).

Les articles en ligne, livres et rapports (et même des documentaires !) sur le sujet sont désormais nombreux, et même des universitaires s’en sont emparés. Impossible d’être exhaustif, mais citons parmi les plus accessibles aux profanes (dont je suis), et en me limitant aux monnaies complémentaires :
 Le documentaire « devises trompeuses : des alternatives à un marché de dupes » (bande annonce). C’est en le visionnant pour animer un ciné-débat ce soir que j’ai eu l’idée de ce billet. On y donne largement la parole à Bernard Lietaer, tout en mettant en images vivantes des expériences concrètes dans le monde.

 Bernard Lietaer, avocat « historique » de ces autres monnaies depuis le début des années 2000. Ancien haut fonctionnaire de la banque centrale de Belgique, il fut l’un des architectes originels de l’ECU, le mécanisme qui a mené à la monnaie unique européenne, et même… ancien trader ! Il est notamment le coauteur du livre « Monnaies Régionales » (que l’on peut lire en ligne via ce lien). Pour une bonne introduction, voir cette courte vidéo de 2012 (6 minutes).


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