« Une taxe sur les transactions financières pourrait remplacer tous les impôts actuels »

Dans son dernier ouvrage*, Marc Chesney dresse un parallèle entre la Première Guerre mondiale et la crise financière de 2008. Pour le professeur de finance de l’Université de Zurich, une société civilisée vacille dans les deux cas. Aujourd’hui, une aristocratie financière a pris le pouvoir au détriment du reste de la population, dénonce-t-il, tout en proposant des solutions. Entretien.

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Le Temps : Vous comparez la crise financière et la Première Guerre mondiale, n’est-ce pas exagéré ?

Marc Chesney : Il s’agit uniquement de comparer l’Europe de 1914 à celle d’aujourd’hui. A l’époque, une société civilisée a subitement basculé dans la barbarie. Actuellement, la société vacille sur elle-même, tremble sur ses fondations, confrontée qu’elle est à une crise d’une grande ampleur, une crise aux dimensions non seulement financières, mais aussi économiques, sociales, politiques et environnementales. Une aristocratie financière a pris le pouvoir. Elle se drape dans les habits du libéralisme, mais sa pratique quotidienne contredit souvent les principes de base. Cette aristocratie arrive à imposer sa politique et ses intérêts. Ceux-ci ont provoqué la crise et nuisent aux perspectives d’amélioration. Si les dégâts causés par la crise sont d’une autre nature que ceux de la Grande Guerre, ils sont néanmoins dévastateurs.
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Le nombre de chômeurs dans le monde a augmenté d’environ 60 millions par rapport à 2007. Dans de nombreux pays européens, des pans entiers de la population perdent espoir, perspectives et repères. Ils sont confrontés à une situation difficile dont l’issue semble incertaine. Les frémissements de croissance sont une illusion car les véritables problèmes n’ont pas été résolus
– Vous le dites, la croissance frémit. N’est-ce pas le signe que nous sortons finalement de la crise ?

– La chute des prix du pétrole explique principalement ces frémissements de croissance. Mais les problèmes de fond demeurent : au niveau international le chômage et le sous-emploi sont énormes, les particuliers et les entreprises subissent des niveaux d’imposition bien trop élevés alors que les grandes banques sont sous-imposées. Quant à la politique de la Banque centrale européenne (BCE), qui consiste à maintenir un taux d’intérêt très faible et à inonder les marchés financiers de liquidité, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Ces liquidités, au lieu d’être investies dans l’économie, stagnent le plus souvent dans le secteur financier et contribuent au développement de la finance casino.

– Pourtant, des mesures ont été prises depuis la crise, notamment pour renforcer l’assise financière des banques pour éviter que les Etats ne doivent se porter à leur secours…

– En apparence effectivement. En réalité les lobbys sont à l’œuvre pour soit vider de leur contenu les projets de réformes, soit les complexifier de manière démesurée. En dernière instance, c’est le contribuable, sans parler du client, de l’employé et de l’actionnaire, qui le cas échéant s’acquitte de la facture laissée par les banques systémiques. Cette situation contredit un des principes de base du libéralisme, en l’occurrence que ceux qui prennent des risques se doivent de les assumer. Les banques systémiques sont incitées à prendre des risques et ce, aux dépens de la société.

– Vous êtes partisan d’une taxe sur les transactions financières, mais qui n’a rien à voir avec la taxe Tobin. Pouvez-vous en dire plus ?