Apple au tribunal : selon la justice, Attac agit dans « l’intérêt général »

23 FÉVRIER 2018 PAR MARTINE ORANGE

Le tribunal des référés a débouté Apple face à Attac, vendredi 23 février. Alors que le géant informatique réclamait que l’ONG soit interdite de toute manifestation devant ses magasins pendant trois ans, la justice juge elle que la campagne d’Attac contre l’évasion fiscale et le paiement des impôts est « d’intérêt général ».

Une victoire sur toute la ligne. À la lecture du jugement du tribunal des référés, rendu le 23 février, les responsables d’Attac ne cachaient pas leur satisfaction. « Nous avons gagné sur tous les points face à Apple », se félicitait Dominique Plihon, porte-parole du mouvement. Ils n’en attendaient peut-être même pas tant. Bien sûr, ils pensaient que la justice reconnaîtrait que leur campagne contre Apple était totalement pacifique. Certes, ils espéraient que le tribunal allait faire primer les droits constitutionnels garantissant la liberté d’expression et de manifestation sur le droit du commerce et des affaires. Mais jamais ils n’auraient osé imaginer que la justice puisse légitimer leur lutte contre l’évasion fiscale. Et pourtant. Dans son jugement, le tribunal des référés souligne que la campagne d’Attac relève de « l’intérêt général sur le paiement des impôts et l’évasion fiscale ».

Fin décembre, Apple avait déposé une assignation devant la justice visant à faire interdire toute manifestation d’Attac dans ses magasins, dans toute la France, pendant trois ans, et à ce que toute infraction à cette interdiction soit sanctionnée par une amende de 150 000 euros (voir notre article sur le procès).

Le géant informatique justifiait cette mesure d’exception au nom d’un dommage imminent pour ses salariés et pour son activité commerciale. « Aucune dégradation n’est invoquée par la société Apple qui parle des “actes de vandalisme” ou des actions ayant mis en péril la sécurité des employés et des clients (…) sans préciser ces dommages dans son assignation et sans en justifier par la production de pièces probantes, aucun constat d’huissier ou attestation n’étant versé aux débats », relève le jugement.

Poursuivant l’analyse des faits, la présidente du tribunal des référés, Bérengère Dolbeau, s’attarde notamment sur l’épisode du 2 décembre 2017, ce jour où les «  limites furent franchies » selon l’avocat d’Apple et qui l’amena à déposer son assignation. Ce jour-là, des militants d’Attac avaient fait une incursion dans l’Apple Store Opéra à Paris et déployaient des banderoles dénonçant l’évasion fiscale du géant informatique et le pressant de payer à l’Irlande les 13 milliards d’euros dus, à la suite de la condamnation de la Commission européenne. Là encore, la justice souligne que cette action a été « sans violence, sans dégradation, sans blocage de l’accès du magasin à la clientèle » et que l’évacuation du magasin s’est faite « spontanément », « sans intervention des forces de l’ordre ».
Pour finir, le groupe américain avait produit une carte postale d’Attac adressée au siège d’Apple. L’ONG y avait écrit « Rendez-vous à la rentrée », afin de lui annoncer la poursuite de sa campagne. Le groupe a vu une menace dans l’envoi de ce courrier. «  Ces éléments, très succincts et peu précis, ne peuvent suffire à caractériser en référé l’imminence d’un dommage et la réalisation certaine d’un risque  », poursuit le jugement.

Tout cela, aux yeux du tribunal des référés, ne peut justifier «  de limiter le droit à la liberté d’expression et à la liberté de manifestation des militants de l’association Attac, qui agissaient conformément aux statuts de l’association et dans le cadre d’une campagne d’intérêt général sur le paiement des impôts et de l’évasion fiscale ». Le tribunal des référés a donc débouté Apple de toutes ses demandes et l’a condamné à payer 2 000 euros à Attac au titre des frais de justice.

Apple n’a pas encore indiqué s’il avait l’intention ou non de faire appel. Jusqu’à présent, son action en justice contre Attac a eu l’effet inverse de celui recherché et a terni un peu plus son image. Il peut donc être tenté de renoncer à poursuivre un combat judiciaire qui s’est révélé contre-productif. Mais de l’autre côté, il y a ce jugement sur « l’intérêt général  » de lutter contre l’évasion fiscale. Apple, comme bien d’autres, a sans doute envie de faire effacer de telles traces.

L’intégralité du jugement en référé ci-dessous.