ÉCONOMIE Le CAC 40, machine à dividendes et à inégalités

14 MAI 2018 PAR ROMARIC GODIN

Selon un rapport des ONG Oxfam et Basic, les entreprises membres de l’indice phare boursier français ont distribué encore plus de dividendes entre 2009 et 2014 que lors de la précédente décennie. Une obsession dont les conséquences laissent de marbre le gouvernement

Le rapport publié lundi 14 mai par les ONG Oxfam France et Basic sur la distribution des profits au sein des sociétés du CAC 40, autrement dit de l’élite économique du pays, est un pavé dans la mare de la doxa gouvernementale et de la politique d’Emmanuel Macron. Le rapport apporte en effet des éléments chiffrés précis et de long terme à l’obsession du capitalisme français pour la rémunération des actionnaires. Une obsession qui n’est pas sans conséquences : « Les choix économiques des entreprises du CAC 40 nourrissent une véritable spirale des inégalités. » Une spirale à laquelle l’actuel gouvernement oppose une véritable indifférence.

Oxfam et Basic ont ainsi calculé qu’entre 2009 et 2016, le taux de distribution des profits aux actionnaires a atteint 67,4 % : sur 100 euros de bénéfice, 67,4 allait donc dans la poche des détenteurs d’action. C’est un taux qui est deux fois plus important que dans les années 2000. Certes, le montant global annuel des dividendes n’a jamais égalé le record de 2007 (57 milliards d’euros), mais il l’a par deux fois frôlé, à 56 milliards d’euros en 2014 et 2016. Surtout, les dividendes distribués sont désormais structurellement plus élevés. Non seulement le taux moyen est beaucoup plus élevé, mais le niveau l’est également. Depuis 2011, le montant annuel distribué n’est jamais repassé sous les 40 milliards d’euros, niveau franchi pour la première fois en 2007.

De ce point de vue, la France demeure la championne de la distribution de dividendes. À égalité avec leurs consœurs australiennes, les entreprises cotées affichent un taux de distribution supérieur de 7 points aux britanniques, de 12 points aux japonaises et de 19 points aux étasuniennes. En moyenne, le CAC distribue un tiers de plus de dividendes que le DAX allemand.

La stratégie de ces entreprises est donc bien de plus en plus centrée sur la « valeur actionnariale », loin des beaux discours avancés depuis la crise sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Preuve en est que certains groupes ont continué à verser d’importants dividendes, même lorsqu’elles faisaient des pertes nettes. Autrement dit, elle redistribuait un bénéfice qui n’existait pas : c’est le cas d’ArcelorMittal entre 2012 et 2015.

Le groupe sidérurgique réalise ainsi l’exploit d’avoir distribué 3,4 milliards de dividendes entre 2009 et 2016 alors que ses pertes cumulées sur cette période dépassent 7 milliards d’euros. Engie, Accor, Lafarge ou Veolia ont, de leur côté, pratiqué cette distribution de dividendes malgré des pertes sur la période examinée par le rapport. Mais l’absurdité va plus loin puisque certaines entreprises, comme Engie ou Veolia, ont distribué plus qu’elles n’ont récolté de bénéfices sur la période. Dans le cas d’Engie, entreprise qui est le fruit partiel de la privatisation de GDF, le taux de distribution atteint 333 %. Autrement dit, pour 100 euros de bénéfices, l’actionnaire d’Engie a encaissé 333 euros de dividende au total…

Ces chiffres stupéfiants le sont d’autant plus que la période étudiée est celle d’une des pires crises du capitalisme depuis l’après-guerre. Il faut donc en conclure que cette crise, en ce qui concerne les grands groupes français, n’a pas conduit à un changement de modèle, mais bien au contraire à une fuite en avant de la priorité donnée à la valeur actionnariale. Dans les trois cas précités (ArcelorMittal, Engie et Veolia), les entreprises ont même gagé leurs bénéfices futurs par l’endettement pour satisfaire l’appétit des actionnaires. Une telle politique n’a été rendue possible que par une orientation unilatérale des stratégies autour de cet unique but : la satisfaction de l’actionnaire.

Les victimes de l’obsession pour les dividendes

Les premiers contributeurs à cette politique ont été les salariés. Alors qu’on exigeait rarement des actionnaires l’austérité nécessitée par la crise, les salariés y ont été fortement contraints. La hausse de la rémunération des salariés des entreprises du CAC 40 a été ainsi quatre fois moins forte sur la période 2009-2016 que celle des actionnaires. Cette modération relative explique en grande partie comment ces sociétés ont pu distribuer des dividendes si généreux.

Mais il existe une autre forme de « modération » par les délocalisations industrielles et les suppressions de poste. Là encore, ces méthodes sont employées pour sauvegarder des bénéfices qui sont largement redistribués aux actionnaires (à plus de 50 % dans 30 des 40 groupes du CAC 40). Selon Manon Aubry, rédactrice du rapport pour Oxfam France, il est impossible de connaître l’évolution des effectifs des entreprises du CAC 40 en France et ces dernières n’ont pas répondu sur ce point aux ONG. Cependant, ArcelorMittal est encore, de ce point de vue, une caricature : l’entreprise qui, donc, a distribué des bénéfices qu’elle ne faisait pas a, sur la même période, réduit ses effectifs d’un tiers…