Voyage en Misarchie

, par JN

VOYAGE EN MISARCHIE
« Essai pour tout reconstruire. ». Emmanuel Dockès, professeur de droit à Nanterre, nous fait voyager en "Arcanie" où les idées étonnent, foisonnent, pétillent, le tout de façon déjanté, mais terriblement stimulant.

VOYAGE EN MISARCHIE

Le titre du livre surprend, mais le sous-titre : « Essai pour tout reconstruire. » en exprime l’ambition.Ouvrir des pistes pour reconstruire la société sur une base radicalement différente : la Misarchie. Le mot n’est pas dans le Larousse et signifie l’aversion à tout pouvoir quel qu’il soit. C’est cette perspective qui anime Emmanuel Dockès, professeur de droit à Nanterre quand il écrit ce livre étonnant, foisonnant, pétillant, hilarant, déjanté, mais terriblement stimulant.

C’est un roman dans lequel un éminent professeur de droit raconte ses mésaventures en Arcanie où il s’est retrouvé suite au crash de son avion. L’Arcanie est un pays dont personne n’a jamais entendu parler et qui ne figure sur aucune carte bien qu’il soit grand comme deux fois la France et peuplé de 80 millions d’habitants. Et ce qu’il y découvre le stupéfie et le fascine. Passons sur la gastronomie qui n’a pas l’air très fameuse ou sur les moeurs sexuelles disons...décomplexées (on vous passe les détails...), là n’est pas l’essentiel. Il y voit des gens qui jouissent d’une très grande liberté personnelle, qui s’habillent comme ils veulent, s’associent librement, même dans des sectes un peu bizzares qui sont tolérées. C’est dans l’une d’elles qu’il rencontre la belle Clisthène qui l’accompagne tout au long du livre. Il y fait encore beaucoup d’autres rencontres comme cet avocat ancien marin pêcheur, cet universitaire qui a donné dans la musique métal. Lui même est recruté par une université intéressée par ses compétences en droit de chez nous, qu’ils appellent l’Outre-Occident. Mais il se fait en même temps embaucher dans un élevage de sauterelles, une spécialité gastronomique locale. Une vraie mobilité professionnelle, mais pas celle dont rêve le Medef.

Il découvre aussi qu’ il n’y a pas d’Etat. Les structures sociales sont basées sur la libre association et sur une appartenance territoriale.L’équivalent de nos administrations comme la justice, la police, la banque centrale etc...sont indépendantes et dirigées par des gens élus ou tirés au sort.La durée légale du travail est de 16 heures hebdomadaires et l’ enseignement est obligatoire jusqu’à 25 ans. La propriété existe, mais sur d’autres bases qu’ici. Et beaucoup d’autres choses très surprenantes qu’on ne peut relater dans un bref compte rendu.

Sous des dehors en apparence loufoques et farfelus, le propos du livre est très sérieux. Il aborde tous les aspects de la société. L’intitulé des chapitres, dans la table des matières, en donne le détail. Par exemple : Chapitre 2 : « Avant de perdre mon principal point de repère, je découvre leur monnaie, leur organisation politique, et ce qu’ils font de leurs enfants... » Chapitre 4 « Où je découvre les fonctions de l’Etat qui fonctionnent sans Etat et quelques services publics inattendus. Où j’apprends ce qui est advenu de la police, des juges, des prisons, et de l’école. » Chapitre 6 « Où l’on m’explique tout sur la propriété, comment on s’achète un appartement pour la semaine, comment les droits s’évaporent avec la vie et comment l’outre-Occident a trahi ses idéaux. » Chapitre 7 : « Je plonge dans l’économie misarchiste, ses entrepreneurs anticapitalistes, sa piraterie internationale et ses travailleurs créanciers »

En prenant délibérément le parti de l’imagination et de la fantaisie, l’auteur a évité deux écueils, celui d’être ennuyeux et celui de présenter un projet d’utopie bien ficelée à la manière du XIXème siècle, genre Cabet ou Fourier. D’ailleurs, il ne prétend pas du tout présenter une société idéale. Il ouvre des pistes de réflexion, suggère des éléments de solutions possibles, nous emmène hors des sentiers battus pour, comme il dit, « tout reconstruire. » Si on y réfléchit, ce livre est beaucoup moins utopique, irréaliste qu’une lecture superficielle le laisserait supposer. Lisez le. Il est drôle, jubilatoire, il vous agitera les méninges, vous dégrippera les neurones, tout en vous amusant.

André Oliva (Attac 18)
Emmanuel Dockès Voyage en Misarchie Essai pour tout reconstruire Editions du Détour 391p 22€