Conférence débat sur le logement. Intervention de Christian Delarue

dimanche 8 avril 2007, par Webmestre

Pour un Service public national du logement.

Conférence-débat d’ATTAC sur logement à Rennes le 5 avril 2007
Christian DELARUE Membre de la commission nationale Logement

Cettte intervention fait suite à celle d’Olivier TRIC

Au-delà de la nécessité de prendre des mesures d’urgence (1) et de l’amélioration des aides (2), mon propos vise à fournir des perspectives à la crise du logement, qui sévit tant dans le logement hors marché que dans le logement marchandisé mais qui ne frappe pas tout le monde car l’habitat résidentiel de luxe se porte à merveille . La solution pour satisfaire les besoins demeure le logement hors marché. Autrement dit c’est l’appropriation publique et le service public qu’il faut résolument choisir . C’est un premier point à développer mais pas le seul.

La solution ne saurait non plus consister dans l’évitement du service public national, dans le « localisme », même sous forme de régie ou d’office, ni dans le seul marché, même « régulé », ni dans l’évocation d’un droit au logement opposable fonctionnant seulement sur de l’habitat de qualité médiocre.

S’il n’y a pas de faux-fuyant viable évitant d’une part le service public et d’autre part le service public national encore faut-il préciser de quel service public il s’agit.

La solution à la hauteur des enjeux passe - en anticipant ici brièvement - par la maîtrise du foncier via un établissement public travaillant contre la spéculation foncière et un service public national de gestion des logements sociaux travaillant contre la « main invisible » du marché en s’adossant à un pôle financier public.

Ceci dit, proposer le service public national ne saurait laisser entendre que le problème est seulement français. C’est bien le rôle d’ATTAC d’évoquer la dimension mondiale du mal logement.

I – LE NON LOGEMENT ET LE MAL LOGEMENT COMME REALITE MONDIALE LIEE AU DEVELOPPEMENT INEGAL ET COMBINE DU CAPITALISME.

Les inégalités à propos de ce bien essentiel à la vie sont très importantes et bien visibles dans tous les pays du monde, dans les pays riches et dans les pays pauvres. Ce sont dans les pays du sud que l’écart est le plus important car les bidonvilles jouxtent les villas de milliardaires. Mais les pays du nord connaissent un phénomène similaire.

Le logement comme d’autres biens coûteux subi la loi du développement inégal et combiné du capitalisme (DICC) qui s’exerce sur la longue durée au plan mondial mais aussi au plan continental, français, régional, local. Des raisons économiques et sociologiques expliquent ce mal-développement. Ce "mal développement" consiste en une diffraction ou une ségrégation qui "combine" plusieurs aspects tout à la fois sociaux, territoriaux, écologiques, ethniques et de genre (d’où le terme de "combiné"). Au plan culturel c’est au contraire un processus d’homogénéïsation qui est à l’oeuvre.

Une triple logique économique : Si l’on remonte du constat du mal-développement capitaliste aux causes intermédiaires on trouve alors une triple logique économique à l’oeuvre : la financiarisation (très poussée dans le foncier et l’immobilier en général), l’appropriation privée et la marchandisation généralisée (y compris dans le logement social).

Ces trois logiques se combinent pour former les vecteurs dominants d’une « économie privée de la valeur d’échange » (opposée à une économie publique de la valeur d’usage). Une telle économie marchande généralisée vise - au-delà de la réponse à la seule demande solvable (un habitat correcte coûte très cher, en propriété comme en location) - à satisfaire les exigences des actionnaires et celles du profit capitaliste commercial non soumis à la finance internationale (les agences immobilières et le notariat parasitaire) . En contre tendance, la promotion du service public s’appuie, lui, sur une « économie de la valeur d’usage », une économie publique et sociale qui vise avant tout à répondre au besoins sociaux. Une économie qui a donc la capacité à répondre à un développement harmonieux et durable.

Les guerres : A cette triple logique économique néolibérale porteuse de développement inégal et combiné il faut ajouter les guerres . Par de multiples effets dévastateurs elles augmentent encore les inégalités dans le logement . Et elles ne sont ni des « moments » limités dans le temps ni des drames limités dans l’espace à très peu des pays . Les guerres sont une réalité permanente de la situation internationale contemporaine.

Les politiques locales ségrégatives : Pour éviter un lecture exclusivement économique il faut faire état des politiques locales du logement qui peuvent être tantôt marginalement correctrices, tantôt en approfondissement de la crise (d’un côté formation de « ghettos de riches » et à côté la « bidonvilisation »).

Les « habitus » de classe : Ces politiques hiérarchisées et ségrégatives de formation de ghettos de riches ou de « classe moyenne » s’appuient sur des réflexes catégoriels qui poussent à la création d’espaces hiérarchisés en terme de qualité de logements .

II – DU MAL DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT EN FRANCE A LA NECESSITE D’UN SERVICE PUBLIC NATIONAL DU LOGEMENT ET DE L’HABITAT.

Il s’agit de promouvoir pour ce bien essentiel qu’est l’habitat une « économie publique de valeur d’usage » capable d’en finir avec deux ordres d’inégalités structurelles à l’économie privée de la valeur d’échange.

1 – Prendre en compte l’immense écart dans la hiérarchie des inégalités .

a) Le sommet des riches : la multi-propriété rentière .
Les grands possédants valorisent un patrimoine à la fois mobilier et immobilier . Ce dernier est à la fois à usage personnel et à usage rentier tant en immobilier d’habitat à revendre ou à louer que de locaux de production, bureaux ou usines .
L’implantation immobilière de la bourgeoisie va du local au mondial en passant par le national.

b) Au milieu, l’habitat confortable des couches moyennes aisées.
Une vision contradictoire est nécessaire pour dégager une perspective :
- D’une part y voir les indices d’une conception non misérabiliste du logement : passage du logement à l’habitat et fin des « cages à poules » ; promotion de l’habitat réellement confortable avec des normes revues.
– d’autre part reconsidérer le modèle du « résidentiel périphérique » ou du « résidentiel centre ville » ie le critiquer comme pleinement inscrit dans la dynamique du développement inégal et combiné.

c) En bas, toute la gamme du « mal logement » et du « non logement ». L’état des lieux est dramatique. (document à part)

2 – Les différents niveaux d’exclusion liés aux multiples marchés de l’immobilier et du logement.

- Dans un premier marché, vous aurez le constructeur-vendeur de logement à un acquéreur propriétaire. Mais sur ce premier marché il y a plusieurs types de propriétaires (ex propriétaires pour soi/ propriétaires de rente). Ce qui correspond concrètement à une toute une gamme de propriétaires allant des couches moyennes se saignant pour cette acquisition aux très riches possédants.
- Vu les prix exorbitants pratiqués sur ce marché d’acquisition les exclus se retrouvent sur un marché secondaire, celui de la location (qui comporte plusieurs niveaux de qualité (comme l’a dit Olivier TRIC avant moi).
- Comme celui-ci est également cher on va trouver un marché tertiaire, ce de la location d’HLM.
- Enfin in fine vous aurez les exclus complets du marché, y compris de la location HLM en principe "bon marché" : c’est le non logement, la galère.

Eléments pour le débat :
Le logement gratuit est-il une solution à proposer aux bas salaires ? Dans la même logique non marchande : quid du logement en proportion du salaire ? Car il y a bien un lien entre logement et salaire et même concernant l’achat entre celui qui sollicite un prêt bancaire et la précarité du travail.

Passons maintenant à la question : de quel service parle-t-on ? Car il ne s’agit évidemment pas de s’en tenir aux outils traditionnels pervertis par la logique marchande.

III – DEFINIR UN VERITABLE SERVICE PUBLIC NATIONAL DU LOGEMENT.

Défendre les OPHLM, s’opposer aux privatisations, aux ventes à la découpe, au déconventionnement public, à bon nombre de démolitions sans reconstruction est certes nécessaire mais il faut aller plus loin, en positif. On connaît les « insuffisances » des SA HLM et même des OP HLM . Dès lors, évoquer sommairement le service public national du logement et de l’habitat ne suffit pas à résoudre l’épineuse question du logement.

Je propose 5 pistes de réponses : deux objectifs (points 1 et 2) et trois moyens d’application.

1 - Un service public qui applique le droit au logement.

Pas d’expulsion sans relogement et assurer le logement c’est sur deux points essentiels rompre avec la situation présente.

2 - Un service public de logement social de très bonne qualité pour tous .

Il s’agit de sortir le logement social de sa conception libérale faisant de lui un logement résiduel (qui exclue à la fois les plus pauvres mais aussi les couches moyennes). Le logement social a vocation à pleinement satisfaire les besoins sociaux de tous (même si les riches ne sont pas demandeur) et les aspirations normales au confort (pas de logement à confort minimal)

3 - Un service public démarchandisé ( fonctionnant réellement sur une logique de service public).

Ruptures nombreuses.
- Premier pas, la propriété publique, ce qui ne signifie pas la fin de la propriété privée.
- Application d’un droit exorbitant du droit du marché, tant pour l’acquisition des terrains que pour les rapports avec les usagers que de la situation juridique du personnel (extrait au droit privé contractuel et même de la FP Territoriale).
Application d’une tarification nettement moins chère que le marché allant jusqu’à la gratuité pour les couches sociales défavorisées.


4 - Un Service Public National.

Le cadre national reste pertinent contre la fragmentation et les inégalités territoriales et pour appliquer la tarification voulue ainsi que l’égalité des droits sur tout le territoire . Cette solution n’empêche nullement - bien au contraire - une adaptation spécifique aux besoins locaux pour contrecarrer la logique du développement inégal et combiné du capital .
Un SPN permet de répondre à l’intérêt général contre les égoïsme locaux et contre une logique de profit , lequel intérêt général va aussi à l’encontre d’une vison libérale ie résiduelle et misérabiliste du service public (service public pour les pauvres)

5 - Un service public transparent et démocratisé

Les exigences 3 et 4 sont capitales mais insuffisantes . Construire un service public transparent et démocratisé suppose de rompre avec la logique de « gouvernance locale » : quelle transparence et que faire des commission d’attribution de logement ? Il est possible de rendre obligatoire la représentation des associations de locataires, de mal logés et des partenaires sociaux dans toutes les instances liées au logement, de la construction à l’attribution, et ce dans toutes les communes.

La démocratisation doit s’effectuer parallèlement aux phase 3 et 4 mais pas avant. Démocratiser une micro-structure privée qui fonctionne sur une logique marchande c’est de l’hypocrisie.

Conclusion :

Concrètement le combat passe par la défense des OP HLM mais aussi par un travail d’éducation populaire qui démontre la validité du choix du service public face au marché. Le marché conservera sa place pour les résidences secondaires et les résidences de luxe. Mais le service public viendra limiter les folies des riches propriétaires en la matière folies qui coûtent chères à la planète (humains et environnement ) l’habitat principal confortable devrait être assuré à tous partout dans le monde.

Notes :

Les mesures d’urgence.

- Attribution immédiate des logements sociaux vacants par le biais du contingent préfectoral.
- Arrêt immédiat de toutes les expulsions
- Relogement immédiat des familles occupant des logements frappés d’une interdiction à l’habitat, d’un arrêté de péril ou de saturnisme.
Les pouvoirs publics doivent se substituer en relogeant les familles et poursuivre les propriétaires comme la loi les y autorise.
- Application immédiate de la loi de réquisition de 1945
Pour rappel : le service municipal du logement, après avis du Maire, peut demander au représentant de l’Etat dans le département de procéder à la réquisition de logements vacants ou de locaux commerciaux inoccupés depuis plus de 6 mois.
Requisition et transformation en logement des nombreux mètres carrés de bureau laissés vides.
- Obligation de domiciliation des personnes sans domicile fixe dans toutes les communes.
- Création de places de structures d’hébergement adaptées : CHRS, Centres maternels, FJT, pensions de familles, appartements thérapeutiques, CADA, lits infirmiers
L’augmentation de places en CHRS et CADA n’est pas suffisante et ne prend pas en compte toutes les populations en difficultés.
- Collaboration entre les différentes structures d’hébergement afin d’éviter la rupture.
L’appel au 115 doit rester unique et l’hébergement stable afin de permettre, par un accompagnement social, l’accès à un relogement définitif.
Pour les personnes les plus fragiles, développement des baux glissants avec un contrat tripartite incluant une structure publique qui doit en assurer la mise en place.

L’amélioration des aides existantes.

Augmenter progessivement mais nettement les aides à la pierre
- Revalorisation des aides au financement de la construction de logements sociaux (prêts à taux favorable)
- Lutter contre la spéculation foncière en créant une agence nationale permettant de rééquilibrer, au moins sur le plan régional, l’offre de construction et limiter les prix du foncier.
Réduction corrélative et progressive des aides à la personne
- Revalorisation des aides à la personne et versement dès le premier mois de l’aide au logement, quel que soit le montant calculé.
En cas de dette locative, poursuite ininterrompue du versement de l’aide au logement.
Prise en compte des dépenses locatives (charges, énergie, assurances) dans le calcul des aides au logement.
Ces charges locatives devant être maîtrisées et contrôlées via un organisme public.
Le loyer résiduel ne doit pas dépasser 20 % des ressources des familles.

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