Clearstream : une machine à blanchir l’argent sale (mai 2006) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°36, avril-mai 2006

Bien au-delà des joutes actuelles qui n’ont d’intérêt que pour les présidentiables de 2007, l’affaire Clearstream, dévoilée par le journaliste Denis Robert il y a maintenant dix ans, mérite qu’on lui consacre un petit rappel. En effet, en 1996, il réunit des grands magistrats anti-corruption (dont Jean de Maillard) pour lancer l’Appel de Genève en faveur d’un espace judicaire européen. Début de son enquête sur le corruption et le blanchiment d’argent.

La Lettre d’Attac 45 n° 13 (avril 2002) publiait une chronique de "la boite noire" de Denis Robert. Extrait :

"Clearstream est une sorte de banque des banques domiciliée au Luxembourg, plus exactement une chambre internationale de compensation qui échange des valeurs, les transactions s’effectuant par virements électroniques. En 2000, on estime que cinquante mille milliards d’euros (soit environ 250 fois le budget de la France) sont passés dans ces tuyaux et irrigue 105 pays dont 41 paradis fiscaux. Phénoménal, mais jusque-là rien d’illégal. En revanche, l’existence de comptes occultes, détenus par des sociétés non bancaires ou par des filiales de banques domiciliées dans des paradis fiscaux, relève de la grande délinquance en col blanc. (...) La clientèle concernée est très variée : managers de multinationales ayant habilement géré les prix interfiliales et fait évaporer les marges ; fraudeurs fiscaux de toutes tailles ; trafiquants d’armes et autres produits sensibles ; organisations criminelles venant blanchir l’argent de la drogue et du racket ; officines gouvernementales agissant dans l’ombre au nom de la raison d’Etat ; gouvernants partageant d’inavouables commissions ; enfin, bien entendu, terroristes organisés en réseaux, qui utilisent aussi ces paradis financiers pour transformer l’argent propre en argent du crime (et inversement)".

Cette dissimulation, qui profite aux banquiers et à leurs clients fortunés, s’opère au détriment des Etats et des citoyens du monde entier. Des sommes colossales sont ainsi défiscalisées, ces mêmes sommes que nos « experts » néo-libéraux appellent le « trou de la Sécurité Sociale », ou « le gouffre de l’assurance-chômage », ou encore par les journalistes financiers « trou noir de la finance »... Clearstream a son siège au coeur de l’Europe, dans ce merveilleux paradis fiscal bancaire et judiciaire qu’est le Luxembourg (et que dénonçait en 2003 le rapport parlementaire Peillon-Montebourg, sans effet à ce jour). Cette firme, aujourd’hui rachetée par la société de bourse allemande Deutsche Börse Clearing, est un poumon pour ce pays et pour ses clients, principalement des banques, des institutions financières reconnues, mais aussi des multinationales fraudeuses et des officines très troubles. Clearstream reste protégée par l’Etat et l’appareil judiciaire luxembourgeois.

Depuis cinq années, sans jamais avoir pu contredire sur le fond aucun des arguments avancés par Denis Robert, Clearstream et certains de ses clients comme la Banque Générale de Luxembourg et la banque russe Menatep, avec l’appui de la magistrature du Grand Duché, multiplie les procédures à l’encontre de l’auteur, de son éditeur les Arènes, de ses producteurs et diffuseurs, mais aussi de tous les médias qui diffusent ses propos. Cela est aujourd’hui encore et toujours plus intolérable qu’hier. En cinq années, c’est plus d’une centaine de procédures judiciaires qui ont été diligentées contre Denis Robert, ses témoins et ceux qui diffusent ses travaux. Pourtant, presque tous les procès sont gagnés en première instance, ou en appel. Les rares procès perdus l’ont été sur des détails.

Dans tous les cas, Clearstream, ses avocats et les banques se pourvoient en cassation. Pour eux, c’est sans problème, de l’argent, ils en ont, c’est leur fonds de commerce... Le but est simple : empêcher la vérité de sortir, Denis Robert de s’exprimer et faire peur aux autres médias et journalistes. En janvier 2006, Denis Robert a ainsi été à nouveau inculpé de calomnies et diffamation devant la justice luxembourgeoise. Il risque une forte amende. C’est une véritable censure économique qui s’opère en ce moment, dans le silence, sous nos yeux.

De son côté, ATTAC participe actuellement à la création d’un comité de soutien au journaliste et écrivain afin de le soutenir, mais aussi de profiter de ces occasions pour mettre la lumière sur le scandale permanent que représentent les paradis fiscaux. A l’occasion de ces procès, Attac organisera des débats publics pour dénoncer les paradis fiscaux, le rôle des banques de compensation et présenter ses propositions alternatives pour lutter contre la criminalité financière et réguler les marchés financiers.

(D’après divers documents compilés.)

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L’ex PDG de Clearstream blanchi par la justice luxembourgeoise

Par Véronique Poujol

Letzenburger Land (hebdomadaire Luxembourgeois), 17 février 2006

Extraits :

"(...) Fiasco judiciaire, enquête qui n’a pas osé aller jusqu’au bout ? Que ce soit l’un et l’autre, l’un ou l’autre, l’une des affaires financières les plus retentissantes jamais ouvertes par la justice luxembourgeoise ressemble à une symphonie inachevée jouée par des instrumentistes tiraillés à hue et à dia. André Lussi, le très controversé ancien patron de Clearstream, va sortir blanchi de l’enquête pour abus de biens sociaux (ABS) ouverte contre lui en mai 2001 dans le sillage d’une enquête plus vaste encore impliquant les plus hauts dirigeants de la firme de livraison-compensation notamment pour des faits de blanchiment, de faux et d’usage de faux et d’escroquerie fiscale. (...) Six personnes en tout avaient bénéficié fin 2004 d’un non-lieu après une longue enquête initiée après la sortie du livre Révélation$ qui fit l’effet d’un tremblement de terre sur la place financière. (...)"