La crise du café, par Sarah Cox (octobre 2003) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°21, octobre 2003.

Certains chefs d’états latino-américains l’appellent « la pire crise du café des cent dernières années ». Avec l’échec catastrophique de la dérégulation des marchés internationaux, le monde fait de nouveau face à une crise de surproduction et de vies dévastées.

La cause immédiate est un excès de grains de café sur le marché international qui a fait plonger les prix. Les prix à l’exportation du café sont tombés à leur plus bas niveau depuis plus de cent ans, avec ajustement de l’inflation.

Par conséquent, les producteurs de café - dont la majorité sont de pauvres métayers - vendent maintenant leurs grains de café bien au-dessous du coût de production. Oxfam International estime que l’existence de vingt-cinq millions de petits producteurs de café est en danger. « Les familles qui dépendent de l’argent généré par le café retirent leurs enfants (particulièrement les filles) de l’école, ne peuvent plus se permettre d’acheter les médicaments de base, et réduisent leurs dépenses alimentaires. » Pourtant peu sont les amateurs de petit-noirs bien serrés au courant de cette crise. Et comment le saurions-nous ? Bien peu a changé dans le monde de consommation. Les prix de Maxwell, Nescafé, Folgers et French ont très peu ou pas du tout baissé.

« Les grandes transnationales font de l’or, » dit Blanca Rosa Molina, une productrice de café nicaraguayenne invitée au Canada par Oxfam. « mais nous n’avons jamais gagné aussi peu. » Il y a cinq ans la coopérative de café de Molina vendait ses grains organiques à 1,80 US$ la livre. Maintenant la livre ne vaut plus qu’environ cinquante cents.

Au nord du Nicaragua, dans la région de Matagalpa, où Molina vit, plus de quarante grandes exploitations sont en faillite ou végètent. On estime à 6000 le nombre de travailleurs du café et leurs familles qui campent dans des habitations de fortunes le long des routes et dans les parcs municipaux, mendiant de la nourriture et de l’aide des passants. Près de la moitié des enfants de la région, femmes enceintes, et personnes âgées souffrent de malnutrition.

Rien qu’en août dernier, douze travailleurs du café au chômage et leurs familles sont morts de faim dans la région de Matagalpa, d’après Reuter. Fin septembre, d’après Molina, le nombre de mort avait atteint 120. « Vous voyez des enfants qui meurent de faim sur les autoroutes, » dit Molina.

Au Guatemala, la crise a créé 70 000 chômeurs dont le nombre est maintenant arrivé à quarante pour cent. La débâcle du café a fait plonger l’économie de pays déjà très pauvres. A travers l’Afrique, des pays déjà ravagés par les dettes, la sécheresse et les maladies clopinent vers un autre désastre.

Les pays naissants recevaient 10 milliards de dollars US pour leur exportation de café il y a seulement quelques années. Maintenant, ce n’est plus q’un peu plus de la moitié, dit Néstor Osorio, directeur général de l’Organisation internationale du Café (OIC). Au Burundi, le café représente presque 80 % des exportations ; en Ethiopie, presque 50 %. Sans l’argent du café, les revenus pour le remboursement de la dette, les programmes contre le SIDA et les écoles se font de plus en plus rares.

« C’est une crise dont la dimension sociale est explosive, » explique Osorio. Lors d’un récent voyage en Colombie, par exemple, il a vu des photos aériennes de plantations de café remplacées par de la coca.

La dérégulation du marché du café

Depuis 1962, le marché mondial du café était régulé par les Accords Internationaux sur le Café. Le traité du marché fixait les prix pour les pays producteurs et maintenait le prix du café relativement stable. Puis, il y a environ dix ans, les USA, le pays le plus gros consommateur de café, se sont retirés. Les USA déclarèrent que l’accord qui maintenait des prix hauts allait à l’encontre de leurs intérêts. Le Canada se retira au même moment. Le control des prix et de l’indice du café s’arrêta là. Les petits producteurs tels que le Vietnam, se ruèrent sur ce qu’il appelait « l’arbre à dollar ». En juste dix ans, le Vietnam est devenu le deuxième producteur mondial du café après le Brésil. A la suite de l’effondrement de l’accord sur le cours du café, la Banque Mondiale et le FMI ont fait pression sur les pays africains pour qu’ils libéralisent leur industrie du café et élimine les entités nationales qui achetaient les grains à des prix garantis. Les producteurs furent assurés de revenus confortables, or, la mondialisation et la libéralisation ont eu l’effet contraire. « La loi de l’offre et de la demande s’est opéré au détriment des producteurs africains et au bénéfice de la spéculation internationale, » a déclaré le Premier Ministre du Togo Messan Abbeyone Kodio aux délégués d’une conférence du ICO en mai dernier.

« A présent, les producteurs de café africains se sentent frustrés et révoltés, » a-t-il expliqué. « Ils se sentent impuissants. Les prix du café fixés par des groupes internationaux sont totalement hors de leur contrôle. »

Il y a dix ans, les pays naissants recevaient 30% de chaque dollar US dépensé pour un petit-noir ; maintenant Oxfam calcule qu’ils en reçoivent moins de 10 cents. Le producteur inconnu qui cultive les grains de café de notre expresso reçoit seulement 2 cents des 1,71 US$ que nous payons.

Un commerce lucratif

Pourtant, le café demeure un commerce lucratif pour ceux qui se trouvent en haut de l’échelle de l’industrie. Cinq multinationales achètent presque la moitié des grains de café vendus dans le monde chaque année. Parmi eux l’on trouve la société Sara Lee (producteur des marques Hills Bros et Chock Full o’ Nuts), Nestlé (fabricant du Nescafé), et le géant du tabac Altria, qui possède Kraft Foods (producteur des marques Maxwell House et Nabob). On estime que Nestlé réalise un profit de 20 % sur le café instantané, d’après Oxfam ; les marges de Sara Lee sont aux alentours de 17 %.

La courbe des profits des grandes entreprises du café montre une croissance stable alors que celle du prix du café, d’après l’auteur uruguayen Eduardo Galeano, « a toujours ressemblé à une courbe épileptique. » La mondialisation et la dérégularisation ont simplement exacerbé cet écart. Comme Galeano le conclut d’un air sévère, « il est plus rentable de consommer du café que de le produire. »

Par Sarah Cox, Alternatives (Québec), traduction Coorditrad, traducteurs volontaires

Contact pour cet article. www.alternatives.ca

Tiré du Grain de sable N° 436, 29 juillet 2003