De Babylone à Wall Street : la dette, une technique d’exploitation et d’oppression des classes populaires

PAR ERIC TOUSSAINT 19 AVRIL 2017

Depuis 5 000 ans, les classes populaires tombent dans le cercle vicieux de l’endettement, qui permet de les asservir et les déposséder. Aujourd’hui, ce sont ainsi les étudiants qui s’endettent pour pouvoir faire des études. Depuis des millénaires, des insurrections populaires cherchent à combattre cette domination, et des gouvernants pratiquent des annulations générales de dettes, pour remettre les compteurs à zéro.

Petit tour historique de cette exploitation par la dette, et des moyens d’y résister, par Eric Toussaint, porte-parle du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM).

Depuis que l’humain a commencé à écrire, il y a 5 000 ans, les dettes privées jouent un rôle central dans les relations sociales. La lutte entre les riches et les pauvres, entre exploiteurs et exploités a pris très souvent la forme d’un conflit entre créanciers et débiteurs. Au cours des 5 000 dernières années, avec une régularité remarquable, des insurrections populaires ont commencé de la même manière : par la destruction rituelle des documents concernant la dette – tablettes, papyrus, parchemins, livres de comptes, registres d’impôts.

Avec la nouvelle crise internationale qui a commencé en 2007, et les expulsions de logements qui ont suivi aux États-Unis, en Espagne et ailleurs, de plus en plus de personnes remettent en question les dettes dans des pays où l’obligation de rembourser un crédit était devenu incontestable et incontournable. Ada Colau, élue maire de Barcelone en 2015, participe activement à partir de 2012 à la Plateforme des victimes de crédits hypothécaires (PAH), qui se bat contre les expulsions de logements réalisées par les banques. Il y a quelques années, il aurait été inimaginable qu’une femme ou un homme soit élu à de hautes fonctions après avoir organisé des occupations illégales de banques pour défendre des familles ayant suspendu le paiement d’une dette.

La lutte contre les dettes n’est pourtant pas récente. Voici quelques étapes historiques du « système dette » au Proche-Orient, en Europe et dans des parties du monde conquises par des puissances européennes [1].

Annulations générales de dettes en Mésopotamie

Dans la Mésopotamie antique, lors de mauvaises récoltes, l’impossibilité par les paysans de rembourser les dettes contractées auprès de l’État (impôts en nature) ou auprès de hauts fonctionnaires et de dignitaires du régime peut aboutir à la dépossession de leurs terres et à leur asservissement. Des membres de leur famille peuvent également être réduits en esclavage pour dette. Afin de répondre au mécontentement populaire, le pouvoir en place annule périodiquement toutes les dettes privées [2] et restaure les droits des paysans. Les annulations donnent lieu à des grandes festivités au cours desquelles on détruit les tablettes d’argile sur lesquelles les dettes sont inscrites.

Au total, il y a eu une trentaine d’annulations générales de dettes privées en Mésopotamie entre 2 400 et 1 400 avant l’ère chrétienne [3]. Un de ces décrets d’annulation précise que les créanciers officiels et les collecteurs de taxes qui ont expulsé des paysans doivent les indemniser. Si un créancier accapare un bien par la pression, il doit le restituer et/ou le rembourser en entier, faute de quoi il est mis à mort !

« Seigneur, annulez nos dettes »


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