Les municipalités rebelles pour la démocratie et la solidarité contre la dette et l’austérité 

Le CADTM a organisé jeudi 24 août le premier des trois ateliers du séminaire portant sur l’expérience des audits la dette.

Dans un certain nombre de grandes villes espagnoles, qu’on appellera par la suite les villes du changement, les élections municipales de mai 2015 ont été remportées par des plate-formes citoyennes, héritières du mouvement des indignés de 2011. Depuis leurs premières heures au pouvoir, ces villes se dressent comme un front uni contre les politiques néolibérales de Mariano Rajoy au niveau local et nouent également des relations avec d’autres municipalités progressistes en Europe, comme l’administration de De Magistris à Naples, dans le but de construire des alternatives concrètes à l’Europe des frontières et du marché libre à tout prix.
Ce changement radical se manifeste dans de nombreux domaines : de l’accueil des migrant-e-s à la reprise en main par les collectivités locales des services publics, en passant par le refus de l’endettement illégitime. Depuis environ un an, un front de municipalités contre la dette illégitime et les coupes budgétaires s’est par exemple construit, regroupant approximativement 140 villes en Espagne, parmi lesquelles on trouve Madrid, Barcelone, Saragosse etc. Ces municipalités ont constitué un front pour contrer la loi Montero – loi qui empêche d’utiliser l’excédent budgétaire pour les dépenses sociales et favorise le remboursement des intérêts sur la dette au détriment des investissements publics.

La construction de ce réseau n’aurait pu être possible – comme décrit plus haut – sans l’arrivée importante d’activistes issu-e-s du mouvement 15M et d’autres plate-formes citoyennes soutenues par Podemos ou Izquierda Unidadans l’administration communale. Cet élément montre les forces en présence mais fait aussi apparaître un des paradoxes de la situation espagnole actuelle. Les activistes travaillant aujourd’hui dans les municipalités créent des liens entre les mouvements sociaux et les institutions. Mais, malgré cela, les mouvements sociaux ont perdu une bonne partie de leurs forces vivantes. Il faudra du temps pour que ces forces se renouvellent et pour que les mouvements redéfinissent leurs stratégies de lutte.
Parallèlement à la bataille institutionnelle contre la dette illégitime, un peu partout en Europe, depuis une décennie, le travail d’audit citoyen de la dette se développe. En Italie, par exemple, le pacte de stabilité et de croissance étrangle les villes, prétextant la nécessité et l’obligation de remboursement de la dette, malgré le fait qu’elles contribuent à hauteur de 2-3 % à la dette nationale globale. Différentes initiatives d’audit sont en cours dans la péninsule comme à Rome, à Turin, à Naples et à Parme. En Espagne, la Plate-forme pour l’audit citoyen poursuit son travail de sensibilisation et d’audit populaire et continue à inspirer les actions desdites municipalités rebelles autant au niveau technique qu’en termes de sensibilisation citoyenne. Enfin, en France, le Collectif pour un audit citoyen (CAC) est engagé depuis des années contre les emprunts toxiques octroyés aux collectivités locales principalement par la banque Dexia. Malgré l’accord de certaines communes avec la banque, les citoyen-ne-s continuent dans leur bataille légale contre les emprunts toxiques et le comportement odieux des banques. 

Dettes illégitime, illégale, odieuse et insoutenable : des catégories pertinentes ? 
 
C’est dans une salle comble que nous avons échangé sur la pertinence des catégories juridiques qui permettent de caractériser les types de dettes, dans une perspective d’audit, d’annulation, et de justice sociale, avec Stefano Risso d’ATTAC/CADTM Italie, Zoé Konstantopoulou ex-présidente du parlement grec et à l’origine de la Commission pour la vérité sur la dette grecque, Éric Toussaint, porte-parole du CADTM et coordinateur de la Commission pour la vérité sur la dette grecque, et Chiara Filoni, membre du CADTM Belgique.
Constatant de grandes similitudes avec la situation en Grèce, les militant-e-s italien-ne-s se sont tout d’abord engagé-e-s à combattre un discours fallacieux qui incrimine le niveau de vie des Italien-ne-s et leur mauvaise gestion pour expliquer l’augmentation rapide du poids de la dette de l’Italie à partir des années 1980. Trouvant appui auprès de juristes catholiques qui ont rédigé la Charte de Sant’Agata dei Goti- définissant le système d’endettement international comme un moyen d’usure portant atteinte aux droits fondamentaux- les membres du réseau d’ATTAC/CADTM Italie ont pour projet d’avancer dans la mise en place d’une Commission nationale pour auditer la dette italienne.
À partir d’avril 2015, la Commission pour la Vérité sur la dette grecque a accompli un travail importantdans le développement du droit international concernant les dettes et a systématisé quatre catégories qui permettent de reconnaître le caractère non fondé d’une dette : les caractères illégitime, odieux, illégal et insoutenable. Sur la base de ces définitions, la Commission a par ailleurs démontré que 80 % de la dette grecque devrait être annulée. 
Mais l’ensemble de ces catégories juridiques restent confinées au droit international qui n’est malheureusement pas contraignant (il n’existe par exemple aucun tribunal international sur la dette). 
Il est donc difficile pour un pays de la périphérie d’aboutir à une reconnaissance du caractère illégal, illégitime, odieux, ou insoutenable de ces dettes puisque les rapports de force sont favorables aux créanciers. Toutefois, des exemples historiques nous montrent que la seule volonté politique des gouvernements suffit à annuler une dette. Ainsi, à l’évocation des expériences de l’Islande qui refusa de payer pour la faillite des trois plus grandes banques du pays après deux référendums consécutifs, et de l’Équateur qui a suspendu le remboursement de sa dette envers ses créanciers, la salle n’a pu passer outre de nombreuses interrogations sur la capitulation de Tsipras.
Au-delà du constat d’une Europe non réformable et de la nécessaire désobéissance face à des dirigeants européens qui n’hésitent pas à violer les traités pour imposer l’austérité, les conclusions de cet atelier nous ont permis de faire le lien avec l’ensemble des préoccupations des mouvements sociaux réunis cette semaine à Toulouse. Les annulations de dettes au cours de ce XXIe siècle et au delà ont toujours été le fruit de la détermination des mouvements sociaux et le résultat d’une forte pression exercée sur les dirigeants politiques élu-e-s et constituent en cela une des réponses à la question posée par les mouvements sociaux quant à leurs relations avec les partis politiques. Ils contribuent en cela à alimenter le débat sur les formes actuelles de la démocratie, sur le devenir des structures partisanes et syndicales dans le contexte de crise actuelle de l’establishment européen et ce pour faire face aux nombreux défis qui nous sont posés.

Crise de l’establishment européen et nouvelles dynamiques ?  

C’est ainsi que la question a été posée lors de ce forum. Mais alors, comment trouver des positions communes de gauche en Europe pour affronter la situation politique dans l’UE ? Comment affronter cette situation de crise du système démocratique actuel ? Pour qu’une unité soit possible, la participation à la fois des mouvements sociaux, des ONG, des syndicats et des hommes et femmes politiques est nécessaire. Après les attentats de 2001 et le lancement du Forum social européen (FSE) en 2002, il existait une capacité de mobilisation sociale européenne importante. À cette forte mobilisation succéda une période de déclin. En effet, certains mouvements sociaux importants ont soutenu des gouvernements qui n’ont finalement pas tenu leurs promesses.

Les annulations de dettes au cours de ce XXIe siècle et au delà ont toujours été le fruit de la détermination des mouvements sociaux

Malheureusement même le gouvernement de Syriza en Grèce n’a pas su représenter l’alternative que les Grecs attendaient. Au-delà de ce constat, il faut garder en tête que les luttes se gagnent dans la rue, dans la contestation, dans la solidarité et dans l’unité, comme l’a rappelé Marina Albiol Guzman. « Les puissants sont très unis, alors que nous n’avons pas su l’être suffisamment. Pour réussir, il faudra donner de l’espoir, de l’unité et avoir une direction commune ». Hormis la création de partis ou mouvements politiques tels que Podemos, Syriza, l’Altersummit, au niveau européen il apparaît difficile de retrouver la dynamique du FSE passé. Le Plan B en 2016 à Madrid a été le seul événement d’ampleur par sa participation et l’engagement des collectifs citoyens dans sa préparation. Il est indispensable que les hommes et femmes politiques au pouvoir et en faveur d’un changement lancent un appel au soutien d’autres peuples notamment européens sans quoi aucune mobilisation d’ampleur ne pourra se créer et avoir lieu. « L’appel est nécessaire pour la mobilisation » a rappelé Éric Toussaint. Par ailleurs, il est essentiel que les victimes des conflits sociaux puissent pleinement participer aux luttes qui ne voient pour l’instant que les militantEs engagéEs. Les droits pour tou-te-s doivent être au cœur de ces luttes et nos droits sociaux doivent passer avant les droits des créanciers.
« Nous devons réfléchir à quoi nous voulons obéir lorsque nous désobéirons au système. Nous devons désobéir aux droits de l’argent » a ainsi conclu Felipe Van Keirsblick.

Nos droits sociaux doivent passer avant les droits des créanciers