Corruption financière et mondialisation : « la boîte noire » de Denis Robert, par Franck Elie (avr. 2002) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°13, avril 2002

Tandis que la mission d’information anti-blanchiment de l’Assemblée Nationale vient de rendre un rapport accablant sur le Luxembourg, le journaliste d’investigation Denis Robert dénonce les pratiques obscures du Grand-Duché dans son dernier ouvrage « La boîte noire ». Il poursuit ainsi le travail d’enquête qu’il avait mené avec « Révélation$ » et le documentaire « les dissimulateurs » (diffusé sur Canal +), où il dévoilait le lien entre corruption financière et mondialisation.

Résumons : Clearstream est une sorte de banque des banques domiciliée au Luxembourg, plus exactement une chambre internationale de compensation qui échange des valeurs, les transactions s’effectuant par virements électroniques. En 2000, on estime que cinquante mille milliards d’euros (soit environ 250 fois le budget de la France) sont passés dans ces tuyaux et irrigue 105 pays dont 41 paradis fiscaux. Phénoménal, mais jusque-là rien d’illégal. En revanche, l’existence de comptes occultes, détenus par des sociétés non bancaires ou par des filiales de banques domiciliées dans des paradis fiscaux, relève de la grande délinquance en col blanc. En s’appuyant sur des documents incontestables et des témoignages explosifs d’informaticiens et de banquiers, Denis Robert raconte comment le logiciel de Clearstream aurait été manipulé par la création d’un « second chemin » permettant d’effacer systématiquement la trace de certaines transactions. La clientèle concernée est très variée : managers de multinationales ayant habilement géré les prix interfiliales et fait évaporer les marges ; fraudeurs fiscaux de toutes tailles ; trafiquants d’armes et autres produits sensibles ; organisations criminelles venant blanchir l’argent de la drogue et du racket ; officines gouvernementales agissant dans l’ombre au nom de la raison d’Etat ; gouvernants partageant d’inavouables commissions ; enfin, bien entendu, terroristes organisés en réseaux, qui utilisent aussi ces paradis financiers pour transformer l’argent propre en argent du crime (et inversement). Par exemple, parmi les comptes non publiés, on notera ceux appartenant aux « banques proches d’Al Qaeda, Rivunion la banque noire d’Elf, ou encore Paneurolife »(réponse de D.Robert à Bernard Maris, diffusée sur la liste ATTAC-local le 10 avril).

On aurait pu croire que de telles « révélations » auraient passionné la presse. Elle reste globalement sur la réserve quand elle n’est pas ouvertement hostile. En réalité, Denis Robert a un problème de « crédibilité ». Non seulement parce que Clearstream multiplie les menaces de plaintes en diffamation tout en faisant circuler des rumeurs infondées sur ses témoins. Mais surtout parce que la mise en cause est énorme, et Denis Robert un homme seul, entouré de quelques amis, dont son éditeur, et d’informateurs dont il ne peut révéler l’identité. Cependant, en mai 2001, des magistrats, dont certains ont signé l’Appel de Genève, soutiennent Denis Robert sous la forme d’une tribune dans le Monde du 10-05-01. Le groupe « paradis fiscaux « d’Attac accrédite les thèses avancées dans « Révélation$ ». Enfin, la Mission anti-blanchiment du Parlement français, menée par les députés socialistes Vincent Peillon et Arnaud Montebourg a rendu public le 22 janvier dernier un rapport sur le Luxembourg qui confirme les faits révélés par Denis Robert.

Les enjeux politiques, médiatiques et financiers de ce combat sont considérables. Son travail se situe au cœur de nos objectifs à ATTAC. Il éclaire de manière lumineuse le phénomène de la mondialisation financières et ses dérives catastrophiques. Il apporte non seulement de précieuses indications sur les moyens a mettre en œuvre pour lutter contre le blanchiment de l’argent sale : « le quasi-monopole de fait des chambres de compensation et des services de routage financier, ainsi que la traçabilité des flux de capitaux sont les moyens par lesquels le contrôle serait possible, si on voulait l’exercer » (le Monde du 10-05- 01), mais également un élément d’espoir puisqu’il permet de montrer concrètement où mettre en application ce que nous demandons dès le début : la taxation des mouvements financiers et leur contrôle.

Franck Elie, Attac 45