Relocalisation du circuit alimentaire : une mise en pratique urgente ! par Philippe Lalik (déc. 2005) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°34, déc. 2005 - janv. 2006.

Le quatrième Forum Social Local du Gâtinais a rassemblé une soixantaine de participants le 1er octobre 2005 à Chalette sur Loing. Ce forum était consacré à la question :

“comment rapprocher la restauration collective de la production alimentaire locale ?”

Nous avons rappelé nos motivations et expliqué pourquoi des altermondialistes s’intéressaient de près aux questions agricoles et alimentaires. Alors que le climat se dérègle, il était urgent de faire savoir qu’un tiers de nos émissions de gaz à effet de serre provient de notre alimentation. Alors que le pic pétrolier approche, il était opportun de préciser que l’agriculture conventionnelle dépense en moyenne 3 calories (d’origine fossile) pour en produire 1.

C’était également l’occasion de mettre en avant notre préférence pour l’agriculture biologique, moins polluante1, moins énergivore et bien plus favorable à la biodiversité. A condition que la production soit locale, car acheminer des kiwis bio d’Australie n’est pas très écologique...

La question sociale n’était pas en reste. Il fut un temps où le paysan quittait le champ pour l’usine ou le bureau. Aujourd’hui, lorsqu’un paysan quitte la terre, il y a un chômeur de plus. Il est donc indispensable à cet égard de soutenir les petites exploitations comme le font les AMAP.

Mais ces dernières se heurtent à deux limites : La première est liée au nombre de producteurs trop faible pour approvisionner une population importante. Notons à ce propos que plus de la moitié des produits Bio consommés en France sont importés, et qu’en Île de France il n’y a 30 que maraîchers bio pour 11 millions d’habitants ! La seconde est le nombre de consommateurs qui désirent s’engager dans des AMAP. Les personnes qui vont adhérer aux AMAP ne vont représenter qu’un petit pourcentage de la population. Si la restauration collective qui sert plus de 3 milliards de repas par an s’engage dans le “manger bio localement”, elle peut lancer une dynamique très intéressante. Les volumes en jeu et la pédagogie qui peut accompagner les repas dans les cantines peuvent donc changer la donne.

Contre la difficulté de s’engager : la solidarité financière

Avant d’aborder le rapprochement producteurs-cantines, nous avons souhaité évoquer les problèmes qui se posent en amont. L’accès à la terre est difficile pour les paysans qui désirent s’installer notamment en raison de la flambée des prix de l’immobilier. Si les prix des terres agricoles n’est pas exorbitant, celui du bâti est hors de portée de la bourse d’un jeune agriculteur.

Les solutions envisagées à ce niveau sont de deux ordres : D’une part, l’initiative associative (du type G.F.A.2) et d’autre part, la réponse institutionnelle.

Il existe 2 types de G.F.A. : le G.F.A. familial et le G.F.A ouvert. Le G.F.A. ouvert permet à toute personne de s’engager financièrement dans le but d’acquérir collectivement des terres pour permettre à un (ou plusieurs) paysans de travailler. Ce placement n’est pas d’un bon rapport mais participe de l’économie solidaire. L’avantage pour le paysan-locataire est de mieux maîtriser le foncier. Le locataire est lui-même porteur de part(s) du G.F.A et dispose d’une place au comité de gérance. Le G.F.A. ne peut pas être dissous sans son accord. Pour les propriétaires, la cession de parts est facile ; il est en effet plus aisé de transmettre des parts que des terres.

Pour le citoyen lambda, pour les parents d’élève(s) qui se demandent ce qu’ils peuvent faire pour rapprocher la restauration collective de la production alimentaire locale, l’acquisition de parts dans un G.F.A. peut être une forme de participation satisfaisante.

Comment fonctionner autrement : des témoignages concrets

Monsieur Prisot, Maire de Saint-Privé (Yonne) est venu évoquer une expérience institutionnelle réalisée par la communauté de communes de Bléneau sous la forme d’une ferme-relais. Dans cette région agricole (2500 ha cultivables sur une superficie de 4000 ha), l’activité principale est l’élevage laitier (30 exploitations). Il se trouve qu’une ferme comprenant les bâtiments, la terre et le cheptel était en vente sur cette commune et que la municipalité souhaitait soutenir l’installation d’un jeune éleveur en Bio. Concernant le matériel, il n’y avait pas de problème dans la mesure où il existe une CUMA3 réunissant 40 adhérents. La communauté de communes a trouvé un investisseur privé pour le foncier et a acquis les bâtiments. Ces derniers font l’objet d’un crédit-bail, ainsi le paysan-locataire en deviendra propriétaire au terme d’une période de 12 ans. Cet exemple démontre que les élus disposent de marges de manœuvre permettant des actions de qualité - lorsqu’il existe une volonté politique.

Dans une deuxième temps, Edith Lemercier pour InterBio Centre et Sophie Denis pour Manger Bio 56 sont intervenues afin d’expliquer leur démarche.

InterBio Centre a pour but de promouvoir des produits bio régionaux. Le développement de la Bio en restauration collective est l’une de ses missions. Cette structure est surtout connue pour l’organisation du printemps Bio, auxquels ont participé 39 établissements (représentant 48 500 repas) en 2005, et la mise en oeuvre des Paniers du Val de Loire. Malgré l’intérêt suscité par les produits Bio, force est de constater que la tâche des 4 salariés d’InterBio Centre est difficile. Il apparaît qu’un manque de volonté fait défaut pour que le Bio s’impose en région Centre.

Les organisateurs du Forum4 avaient invité une salariée de l’Association bretonne Manger Bio 56 basée à Lorient. Ainsi Sophie Denis nous a fait part de trois ans d’expérience dans le rapprochement restauration collective - producteurs locaux.

En 2004, 170 000 repas 100% bio ont été servis dans la région de Lorient. Cela concerne 20 établissements (16 cantines municipales, 4 collèges, 1 lycée, 1 centre hospitalier).

Ce sont 15 producteurs (10 maraîchers, 3 boulangers et 2 producteurs de lait) qui approvisionnent ces structures. Chaque producteur livre sa marchandise, Manger Bio 56 sert seulement d’intermédiaire et se charge de réceptionner les commandes, d’établir les devis et les factures. Les prix sont négociés en fonction du prix du Marché Intérieur National5 (Bio) de Nantes majoré de 15%. Pour les produits ne pouvant pas être cultivés localement (riz par exemple), l’association s’approvisionne dans un magasin, Biocap 56.

Son but ne se limite pas à ce rôle d’intermédiaire ; il est également de développer les aspects pédagogiques (animations, visites de ferme), de former des cuisiniers, de promouvoir les repas végétariens et de sensibiliser à la saisonnalité des aliments.

Certains problèmes se posent notamment parce que certaines cuisines n’ont plus de légumerie. A Lorient, c’est le personnel d’un C.A.T. qui assure la transformation des aliments. Cette intervention a également mis l’accent sur 2 approches par rapport à l’alimentation Bio en restauration collective que l’on retrouve dans le Loiret.
En effet, certains préfèrent des repas 100% bio espacés dans le temps tandis que d’autres vont privilégier des ingrédient Bio le plus souvent possible. A Vannes, par exemple, chaque repas comprend, au minimum, 1 ingrédient bio ainsi que le pain.

Il apparaît qu’au niveau de la communication, les repas 100% sont privilégiés, tandis qu’une présence d’ingrédients bio plus fréquente mais moins visible est plus favorable au développement de l’agriculture Bio. Ceci étant dit, les deux démarches ne sont pas exclusives l’une de l’autre. La mise en place d’une structure locale ne peut toutefois s’appuyer que sur des approvisionnements réguliers.

Et bientôt près de chez vous !

La validité de l’expérience bretonne, la volonté d’InterBio Centre et la rencontre entre les producteurs et les gestionnaires en restauration collective du Loiret6 laissent penser qu’une structure pourra se mettre en place assez rapidement, d’autant qu’après ce forum, certains acteurs locaux ont manifesté un intérêt certain pour cette démarche.

En marge du forum, certains échanges indiquaient que des changements profonds interviennent. Ainsi des agriculteurs (céréaliers conventionnels) ont laissé entendre qu’ils étaient prêts à libérer des terres pour des producteurs bio si une demande existait ! Un céréalier et un boulanger (tous deux bio) ont évoqué la possibilité de moudre la farine dans le montargois, si les volumes étaient suffisants.

Quoiqu’il en soit, ces projets ne pourront voir le jour que si une structure du genre de celle qui existe dans le Morbihan est mise en place. Sans une plate-forme dynamique, nos espoirs ne pourront se concrétiser. C’est pourquoi ATTAC 45, les Amis du Monde Diplomatique du Gâtinais et InterBio Centre donneront une suite à ce forum très encourageant.

Philippe Lalik

1 En agriculture biologique, les émissions globales par kg de nourriture sont diminuées de 30% par rapport à l’agriculture conventionnelle (Sources : Jean-Marc Jancovici et IFEN).

2 GFA : Groupement Foncier Agricole.

3 CUMA : Coopérative d’utilisation de matériel agricole.

4 ATTAC-45 & les Amis du Monde Diplomatique du Gâtinais (avec le concours d’InterBio Centre) .

5 En France, il existe 2 grandes références : les M.I.N. de Rungis et de Nantes.

6 Cette rencontre et ses suites feront prochainement l’objet d’un compte-rendu.