Limites écologiques, limites de la gauche, par Philippe Lalik (oct. 2003) Extrait de la Lettre d’attac 45 n°21, octobre 2003

En juin dernier, Gus Massiah, Vice-Président d’ATTAC, a co-signé, à titre personnel, un texte publié dans “ Le Monde ” appelant à la refondation de la Gauche. Un débat s’en est suivi. Je reprend ici les éléments de ma contribution. Je précise que le fait de contester la participation d’attac à cette refondation ne signifie nullement que droite et gauche sont identiques.

Dans le texte en question, où les auteurs considèrent que la relance économique est indissociable du progrès social, on constate que la problématique écologique est passée sous silence. Cette non-prise en compte du fait que le système économique est un sous-système de la biosphère est révélatrice de la pensée de Gauche. En effet, comment ignorer ce que permet la planète à l’économie (ressources naturelles et énergétiques, biodiversité et capacité d’absorber les déchets) ? Cette question n’est pas anecdotique car de la réponse qu’on lui apporte dépendent les stratégies à adopter pour lutter contre la globalisation.

Pierre Khalfa, dans un texte publié récemment dans la revue Mouvement sur le dossier des retraites, tombe dans le même travers lorsqu’il estime que d’ici 2040, le PIB continuera d’augmenter mécaniquement et qu’en retenant une croissance annuelle de 1,7% il doublera. Le mot à retenir est mécaniquement. Si le climat dévient instable, que les ressources viennent à manquer et que les catastrophes “ naturelles ” se multiplient, la mécanique économique devra s’incliner devant le vivant. Même si on peut les reculer, les limites naturelles s’imposent tôt ou tard. On le constate dans l’agriculture. La FAO estimait encore récemment que les récoltes mondiales de céréales, dont le rendement augmentait de plus de 2% par an depuis un demi-siècle, pourraient nourrir la population mondiale. Le ralentissement observé depuis une dizaine d’années (croissance annuelle de 1%) semble démontrer que ce qui était vrai hier ne le sera pas forcement demain.

Certains paramètres apparaissent incontournables : la production primaire nette (PPN) est la quantité totale d’énergie solaire convertie en énergie biochimique grâce à la photosynthèse des plantes moins l’énergie que celles-ci consomment pour leur propre développement. C’est ce qui constitue la base de ressources nutritives de toute vie. Or, des études récentes indiquent que 12% de ces ressources ont été détruites et que l’espèce humaine s’en accapare 27%. Une seule espèce dispose donc de près de 40% de la PPN, et pourtant cela est nettement insuffisant, étant donné les conditions de vie d’une majorité des habitants de notre planète.

Certains auteurs estiment que la croissance repose en grande partie sur les dégâts qu’elle provoque. On pollue l’eau, puis on la dépollue et mécaniquement le PNB augmente. Dans le même ordre d’idée, si dans une population donnée, de plus en plus de couples sont stériles (à cause des pesticides par exemple) et ont recours à la fécondation in vitro, cela entraîne une augmentation de la richesse produite. Ce type de croissance n’est-il pas malsain ? Peut-on envisager une croissance qui soit à la fois saine et éternelle ?

Prenons un exemple parmi bien d’autres, celui du papier. Un Terrien consomme en moyenne 46 kg de papier par an. Un Américain du Nord en utilise 320, un Européen 200, un Chinois 24 et un Indien 3. Chacun devrait avoir droit à ses 200 ou 300 Kg. Pourquoi pas, mais avec quelles forêts ? En ce qui concerne la consommation de viande, le problème est du même ordre. On espère augmenter le niveau de vie de l’ensemble des habitants du Tiers-Monde sans se poser la question de savoir si c’est matériellement possible et quelles en seraient les conséquences pour les habitants des pays occidentaux. Les calculs d’empreintes écologiques montrent que les Indiens et les Chinois vivent déjà au-dessus des moyens permis par la nature de leurs pays respectifs. Comment vont-ils se développer durablement ?

La Gauche estime qu’un nivellement par le haut est possible. La question que l’on doit pourtant se poser est celle-ci : Les limites écologiques de la planète permettent-elles un nivellement par le haut ? Si la réponse est négative (ce que je crois) l’alternative est la suivante : Ou bien l’on subit, par l’intermédiaire de la mondialisation, un nivellement sauvage par le bas. Ou bien ce nivellement s’effectue grâce à une décroissance socialement et écologiquement soutenable (les dimensions sociale et écologique sont indissociables).

Le problème majeur est que cette idée ne bénéficie d’aucune base sociale. La Gauche en estimant qu’une augmentation généralisée du PNB par habitant est compatible avec la survie des mammifères (dont l’homme) sur la planète ne commet-elle pas une gravissime erreur ? Certes, la décroissance et la fin du développement n’apportent pas de réponses suffisantes, mais leur mérite est d’ouvrir de nouveaux horizons.

Une décroissance soutenable ne signifie pas un appauvrissement. Si nous consommons des yaourts de fabrication locale plutôt que des yaourts dont les ingrédients ont parcouru 8000 kms (une étude a évoqué ce cas), nous ne nous appauvrirons pas. En mangeant moins de viande non plus. Ne pas manger de légumes ou de fruits hors saison (des fraises à Noël) ne va pas trop nous indisposer. Il est vrai qu’au-delà de ces quelques exemples, c’est la structure même de nos sociétés qui serait remise en cause.

Un autre problème fondamental est que cette voie nécessiterait une sortie de la compétition économique mondiale. Une utopie, certes. Mais avons nous réellement un autre choix raisonnable ? L’appauvrissement généralisé ne nous guette-t-il pas en cas de choc climatique ? On peut toujours tenter de s’opposer aux décideurs du G8, du FMI, de l’OMC... ce que nous faisons ensemble. Mais ne perdons pas de vue, qu’en cas d’emballement climatique aucune discussion ou contestation ne sera possible.


Philippe Lalik,
Attac 45