Attac - Val de Marne
Accueil du site > A lire > sortir par le haut de la bataille des retraites

sortir par le haut de la bataille des retraites

la lutte pour les retraites grandit, et après ?

vendredi 15 octobre 2010, par Daniel Hofnung

Sortir par le haut de la bataille des retraites

La réforme actuelle des retraites est la troisième de ces dernières années. La première (réforme Balladur) était passée avec des protestations limitées, la deuxième (réforme Juppé) était passée malgré une forte mobilisation. La bataille des retraites qui démarre s’annonce difficile, malgré un bon début de mobilisation et une montée en puissance croissante.

Le gouvernement, bien conseillé en stratégie et communication, n’avait, avant l’été, laissé connaître son projet que par petits morceaux. En sapant les possibilités d’initiatives des salariés, il avait voulu rester maître du calendrier pour ne laisser voir son projet qu’à un moment où une large partie de la population avait la tête dans le sport ou dans les vacances. La concertation : les syndicats auront été rencontrés un par un pour connaître leurs arguments et mieux les contourner.

La majorité des salariés perçoit qu’il s’agit d’une remise en cause générale de droits conquis depuis des décennies. Ils s’accrochent aux conquêtes d’hier qu’ils ne veulent pas perdre, et ils ont bien raison.

Ce que le gouvernement leur promet, ils le savent, est une mise au pas générale, une ponction globale sur leurs acquis et leurs droits, qui avaient été si longs à acquérir.

Et l’actualité estivale faite de scandales liés aux grandes fortunes a rappelé à sa manière ce que tous savent maintenant, plus ou moins confusément, plus ou moins clairement : dans la crise actuelle, les seuls qui s’en tirent sont ceux qui possèdent tout à la fois les capitaux et l’économie, ceux qui dictent leurs bonnes raisons aux politiques, qui font ensuite « parce qu’on ne peut pas faire autrement » que suivre l’ordre du monde, l’ordre des possédants.

Ce que le pouvoir leur promet, ils le savent, c’est de pressurer encore plus ceux qui travaillent, c’est de serrer les ceintures pour reprendre encore quelques points sur leurs revenus. C’est une nouvelle réduction de leur pension par le biais d’un allongement de la durée de cotisations pour ceux déjà rejetés du travail car trop usés ou jugés inutiles. C’est pour la majorité des femmes, manquant d’années de cotisations, plus d’années de travail, moins de revenus pour leur retraite et toujours plus d’inégalité par rapport aux hommes.

Et quand le gouvernement a hâté l’adoption de son projet, les banques ont annoncé des bénéfices faramineux, alors qu’elles avaient il y a peu spéculé, puis avaient été sauvées alors par l’état à coup de milliards car elles avaient failli couler. Les riches continuent de s’enrichir à vitesse accélérée, tandis que les plus pauvres – et même ceux qui sont moins pauvres ou un peu aisés – doivent se sacrifier.

Le pouvoir veut rendre les salariés fatalistes : cette réforme n’est pas française, elle est européenne. Voyez en Europe, nous clame-t-il, les 60 ans sont oubliés, c’est 67 ans ! (en oubliant de nous dire que le taux plein est à 35 ans de cotisations dans plusieurs pays voisins). Pourquoi alors serions-nous les seuls à nous particulariser ? Car en Europe, nous fait-il comprendre, tous baisseront les bras.

Ces mesures correspondent à une volonté des autorités européennes, inscrite dans la « stratégie de Lisbonne », qui dès 2000 avait prévu de réformer le système de retraite.

Les salariés vont-ils courber l’échine devant la loi du capital et des marchés financiers ? De plus en plus le refusent, et se disent qu’il est temps de lui porter un coup d’arrêt : la mobilisation entraîne sans cesse de nouvelles couches de population, elle s’élargit.

Que veut cette loi ? Que tout ce qui est gagné le soit pour la finance, que ce qui revient aux salariés soit la plus faible possible. Que des gages soient donnés par de nouveaux reculs sociaux au nouveau Dieu moderne, les marchés financiers, devant lequel il faudrait s’incliner. Soyez raisonnables, faites une cure d’austérité, pour que ceux d’en haut puissent s’enrichir à loisir !

— -ooOoo---

Le premier mensonge dans cette bataille des retraites – par omission – c’est le chômage, car pourquoi sinon le régime général et les deux principaux régimes complémentaires, encore globalement équilibrés en 2007, se seraient effondrées en 3 ans et arriveraient à un déficit prévu de 2010 de 15 milliards d’euros 1 ? Pourquoi sinon, le déficit de l’ensemble des systèmes de retraites serait passé de 2006 à 2010 (prévision) de 2,2 milliards d’euros à 32,2 milliards 2 ?

Le vieillissement de la population, gros argument pour nous faire accepter comme inévitables les régressions, ce n’est rien par rapport aux millions de salariés rejetés du travail et qui ne cotisent plus. Le voilà le grand mal, pour les retraites comme pour la société : non pas le vieillissement de la population, mais une société qui rejette les siens, c’est le chômage et la précarité.

Nous pouvons certes, et nous devons répliquer à la réforme des retraites en proposant ce que j’appellerais des mesures défensives : le capital, qui a bénéficié de la situation, doit cotiser au même titre que le travail, les charges sociales des entreprises ne doivent plus être exemptées... Les réponses des syndicats, des Partis démontent avec raison l’échafaudage du gouvernement et montrent que d’autres financements sont possibles. Mais tout ceci reste sur le terrain des retraites alors que s’il y a cette réforme maintenant, ce n’est pas pour les retraites, c’est pour poursuivre la mise en coupe de l’économie au profit des marchés financiers. Nous le savons, cette réforme ne solutionnera pas le problème, elle en créera d’autres (en faisant plonger les caisses de chômage). Elle forcera, dans quelques années, à faire d’autres mises en causes, avec d’autres régressions pour les salariés afin soi disant « sauver nos retraites » à nouveau en déséquilibre – si toutefois elles se redressent -.

Face à l’ampleur de la crise, face à une société dont les rouages se fissurent, une réponse limitée aux retraites, même juste, est-elle adéquate ?

Je dis : non.

Dans une société où on ne donne depuis plusieurs années comme horizon que la casse du système social, où la précarité s’accroît, où l’emploi est mis en miettes à coup de contrats précaires ou de temps partiels, il nous faut maintenant une réponse à la hauteur. Il faut un véritable projet alternatif et mobilisateur, qui permette de donner une réponse à la situation des millions d’emplois précaires et de chômeurs, à ceux qui ont des carrières incomplètes, en raison des aléas de la vie.

Gagner la sécurité face au chômage et à la précarité, comme les générations précédentes avaient gagné la sécurité sociale face à la maladie, n’est ce pas justement le défi qui nous est posé ? N’est-ce pas la réponse à la casse sociale qu’on nous fait subir ? N’est-ce-pas la perspective positive qui nous manque, celle qui nous permettrait de sortir par le haut de la bataille des retraites ?

Le projet existe, il a déjà été discuté, il est présent dans certains programmes, que ce soit de syndicats ou de partis.

La sécurité sociale professionnelle, en fondant le salaire sur la qualification et non sur la situation du salarié, en mutualisant le risque de perte d’emploi, en intégrant la formation comme part entière de la vie professionnelle est cette réponse. Elle assure la continuité du revenu – et donc des cotisations sociales – dans les périodes hors emploi : avec une telle garantie, plus de carrières incomplètes, plus de retraites écornées, plus de caisses de retraites en déficit par cotisations insuffisantes, car si le salaire devient lié à la qualification et non à l’emploi, on le conserve si on perd son emploi.

Un telle « sécurité sociale professionnelle »3 suppose de dépasser le cadre de l’entreprise par la mutualisation. Chaque travailleur se verrait reconnaître un statut qu’il conserverait au sein d’une structure de réseau d’entreprises, avec une qualification, un revenu de référence, des droits sociaux, des cotisations sociales et le droit à la formation. Ces droits lui seraient garantis dans les périodes entre deux emplois, ou lors des formations. Ils pourraient être acquis dès 18 ans, garantissant un salaire étudiant assorti de cotisations sociales. Le passage d’un réseau et d’un métier à un autre serait un droit.

La mutualisation des entreprises, par secteur et bassin d’emploi, permettrait le financement de ce système, géré démocratiquement et paritairement, en combinaison avec les ressources actuelles, (chômage, revenu minimum...) réorientées. Cette mesure est inséparable d’une profonde démocratisation des entreprises (représentation des salariés dans les instances de décision) avec des droits nouveaux aux salariés sur les choix de l’entreprise et sa politique de l’emploi4. Des nouveaux pouvoirs pour les salariés sont en effet une condition pour éviter qu’une telle réforme ne se transforme en parapluie pour affronter la précarité.

Cette mesure signifierait une rupture de taille : le salarié ne serait plus considéré comme « employable » au gré de celui qui l’utilisera, il serait celui qui vient dans un collectif de travail au sein d’une entreprise avec une qualification : de rapport intrinsèquement subordonné, on passerait à un rapport qui pourrait ouvrir ensuite sur la libre coopération entre salariés dans des entreprises non soumises aux impératifs capitalistes, dans le cadre d’une création monétaire qui ne répondrait plus aux impératifs marchands, mais aux besoins humains, et qui rendrait obsolète la possession même du capital5.

Donner une telle perspective pour la bataille pour les retraites, c’est non seulement prouver que cette réforme est inutile et incongrue. C’est sortir du défaitisme, c’est repartir de l’avant et mettre un terme au cycle régressif, qui de la réforme Balladur à la réforme Fillon, a été une successions de défaites pour les salariés.

C’est peut-être faire le premier pas vers un renouveau, par une conquête sociale qui réponde aux défis que nous pose le gouvernement en tentant de laminer les droits des salariés pour la première fois avec une telle ampleur depuis des décennies.

Cela peut être aussi le début d’une nouvelle époque.

Daniel Hofnung 11-10-2010

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0