Les 21 exigences d’Attac pour le traité constitutionnel

La conférence intergouvernementale chargée d’élaborer le futur " traité constitutionnel " européen a pris comme base de travail le document élaboré par la Convention pour l’avenir de l’Europe. C’est donc à partir de ce texte que sont formulées les exigences du Conseil d’administration d’Attac en vue de rendre le traité acceptable par l’association. Attac considère que le terme de Constitution pour qualifier ce texte est parfaitement abusif. D’une part, parce que le processus utilisé pour l’élaborer n’a rien à voir avec un processus constituant, qui supposerait l’élection d’une assemblée constituante. D’autre part, parce qu’une Constitution fixe un cadre au sein duquel peuvent être menées des politiques différentes, voire contradictoires. Or les politiques de l’Union, telles qu’elles sont précisément définies dans la partie III du texte, ne laissent aucune place à des alternatives au libéralisme, quand bien même elles seraient souhaitées par la majorité des citoyens des Etats d’Europe. Il faudrait pour cela réviser le traité, ce qui suppose l’unanimité des 25 signataires. Autant dire une mission impossible.

Dans ces conditions, ce qui nous est proposé sous la forme d’un " traité constitutionnel " ressemble effectivement à une Constitution pour ses aspects institutionnels, mais sans avoir respecté les règles démocratiques d’un processus constituant, et s’apparente à un manifeste idéologique pour le contenu des politiques de l’Union.

Après examen de ce texte, c’est de propos délibéré que n’est avancée aucune demande en matière d’architecture institutionnelle. Pour Attac, en effet, l’important est le contenu des politiques européennes, donc la possibilité que les cadres juridiques offrent ou non de les mener, et cela indépendamment des institutions, de leurs pouvoirs et de leurs rapports réciproques.

Ces exigences seront communiquées au gouvernement et au Parlement français, ainsi qu’à tous les acteurs et mouvements sociaux avec lesquels Attac entretient des relations. A l’issue des travaux de la CIG, Attac rendra publique son appréciation du traité et oeuvrera à l’élaboration d’un document commun des Attac d’Europe dans la perspective du processus de ratification par les 25 Etats membres.

 Exigence n° 1 : la solidarité doit être une valeur et une norme de l’Union
L’article I-2 ne mentionne pas la solidarité comme valeur del’Union, alors que sont citées, entre autres, la liberté et l’égalité.La solidarité est simplement, et de manière abusive, présumée « commune aux Etats membres ». Attac demande qu’elle soit inscrite comme valeur et norme de l’Union.

 Exigence n° 2 : l’égalité hommes-femmes doit devenir une valeur de l’Union
L’article I-3 (« les objectifs de l’Union ») précise, mais seulement dans son troisième alinéa, que l’Union « promeut l’égalité entre les hommes et les femmes ». Or il ne s’agit pas seulement de promouvoir, mais sourtout de garantir cette égalité.
Attac demande donc que l’égalité homme femme figure à l’article I-2 (« les valeurs de l’Union »), au même titre que la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’Etat de droit et le respect des droits de l’Homme.

 Exigence n° 3 : la concurrence ne saurait être un objectif de l’Union
L’article I-3, relatif aux objectifs de l’Union,indique dans son alinéa 2 que « l’Union offre à ses citoyennes et citoyens (...) un marché unique où la concurrence est libre et non faussée ».
Attac demande que la coopération se substitue à la concurrence comme objectif et comme norme supérieure de l’Union. Par ailleurs, Attac considère que la Commission détient des pouvoirs exclusifs exorbitants en matière de concurrence.
Attac demande que, sur saisine d’un Etat, une décision de la Commission dans ce domaine soit suspendue jusqu’à ce qu’elle soit tranchée à la majorité qualifiée par le Conseil en codécision avec le Parlement.

 Exigence n° 4 : les services publics doivent être inscrits comme objectifs de l’Union et affranchis des règles de la concurrence
Attac demande que les services publics (dits « services d’intérêt général ») ne soient pas relégués aux parties II et III du traité, mais figurent dans la première partie (« Définition et objectifs de l’Union ») à l’article I-3 (« Les valeurs de l’Union »). L’article III-55 soumet les services d’intérêt général aux règles de la concurrence. Attac demande la modification des articles III-55, 56 et 57 en vue d’éliminer toute référence à la concurrence à leur sujet.

 Exigence n° 5 : le libre-échange ne répond pas au bien commun et ne saurait être un principe de l’Union A plusieurs reprises, et notamment dans l’article II-69, il est spécifié que les politiques de l’Union doivent se conformer « au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ».
L’exigence n° 2 récuse déjà la concurrence comme objectif de l’Union. Attac demande également la suppression, partout dans le traité, de la formule « économie de marché ouverte »,autre façon de définir un libre-échange qui ne saurait avoir le statut de « principe ».
L’article II-216 assimile, comme s’il s’agissait d’une vérité établie, l’ « intérêt commun » à la « suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs ». Cet article est contradictoire avec, entre autres, le principe de souveraineté alimentaire qui implique une protection aux importations agricoles. Par ailleurs, il justifie les tentatives de l’UE (frustrées à Cancun) de faire revenir par la fenêtre de l’OMC les clauses léonines de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) expulsées par la porte de l’OCDE en 1998. Attac demande la suppression de cet article.

 Exigence n° 6 : empêcher la marchandisation de la culture, de l’éducation et de la santé par la politique commerciale commune L’article II-217 généralise le vote à la majorité qualifiée pour toute conclusion d’accords commerciaux. Avec une demi-exception cependant : l’unanimité est requise dans le domaine des services culturels et audiovisuels, mais seulement « lorsque ceux-ci risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l’Union ». Attac demande la suppression de cette clause, dont il n’est pas précisé qui en apprécierait la validité, et demande également que la santé et l’éducation continuent également à relever du vote à l’unanimité. Cette exigence est d’autant plus importante que l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’OMC constitue une menace permanente sur ces trois secteurs, et que l’on connaît la propension de la Commission à les troquer contre des concessions dans d’autres secteurs.

 Exigence n° 7 : la politique commerciale commune doit faire l’objet d’un contrôle démocratique Les articles III-216 et III-217 régissant la politique commerciale ne prévoient aucun contrôle des élus sur son contenu. Attac demande :
* que la Commission présente un rapport annuel circonstancié sur ses activités, soumis à l’approbation du Parlement européen et des Parlements nationaux
* que le mandat de négociation du commissaire chargé du commerce relève de la procédure de la codécision Parlement-Conseil quand ce dernier se prononce à la majorité qualifiée

 Exigence n° 8 : lutter contre le dumping social et le dumping fiscal dans l’Union Dans les domaines social et fiscal, la règle de l’unanimité permet à certains Etats de maintenir des politiques de moinsdisant, donnant aux autres Etats membres des prétextes pour tirer vers le bas leurs propres politiques dans ces domaines. Attac demande que soient régies par la procédure de codécision Parlement-Conseil (ce dernier se prononçant à la majorité qualifiée) les politiques suivantes qui relèvent actuellement del’unanimité :
* fiscalité des entreprises, fraude fiscale (articles III-62 etIII-63)
* fiscalité de l’environnement (article III-130)
* Sécurité sociale et protection sociale, protection en cas de résiliation du contrat d’emploi, représentation et défense collective des travailleurs, accès au marché du travail des ressortissants des pays tiers (article III-104 )
* Mise en œuvre des accords entre partenaires sociaux (article III-106)

 Exigence n° 9 : la politique économique et monétaire doit promouvoir la croissance et l’emploi L’article III-69 indique que « la politique monétaire a pour objectif principal de maintenir la stabilité des prix ». Or, dansles objectifs de l’Union (article I-3), il est question d’une « économie sociale de marché hautement compétitive qui tend au plein emploi », ainsi que de « croissance équilibrée ». Attac considèreque l’on ne saurait déconnecter la politique monétaire ni de la politique économique ni de la politique de l’emploi. En conséquence,l’association demande que le plein emploi et la croissance figurent comme objectifs principaux de la politique monétaire, au même niveau que la stabilité des prix.

 Exigence n°10 : La Banque centrale européenne et les banques centrales nationales doivent rendre des comptes aux gouvernements et aux élus L’article III-80 énumère les institutions desquelles ni la Banque centrale européenne ni les banques centrales nationales ne sauraient accepter de sollicitations ou d’instructions. Attac exige que les banques centrales nationales soient soumises à l’autorité des gouvernements et élus nationaux. Dans la mesure où les gouverneurs de ces banques centrales nationales font partie du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, la politique de cette dernière doit être contrôlée parle Conseil et le Parlement européen.

 Exigence n° 11 : l’Union doit pouvoir emprunter L’article I-53 stipule que « le budget de l’Union est, sans préjudice des autres recettes, intégralement financé par des ressources propres ». Attac exige que l’Union, au-delà de ses ressources propres actuellement plafonnées par décision du Conseil à 1,27 % du PIB de l’Union (plafond dont elle demandele relèvement), puisse emprunter, notamment pour les grands travaux d’infrastructures et pour les investissements nécessaires dans les pays qui vont adhérer en 2004. Ces emprunts doivent notamment pouvoir être effectués auprès de la BCE, ce qui doit entraîner l’abrogation de l’article III-73 interdisant à cette dernière « d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux instances, organes ou agences de l’Union », ainsi qu’à toute instance nationale.

 Exigence n° 12 : l’Union doit pouvoir contrôler les mouvements de capitaux L’article III-45 interdit toutes restrictions aux mouvements de capitaux. Cet article a déjà été invoqué par un commissaire européen pour déclarer juridiquement impossible la taxe Tobin. Attac demande donc sa suppression. L’article III-46.3 précise que l’unanimité est requise pour déroger à la libéralisation des mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers. Attac demande que l’unanimité soit remplacée par la majorité qualifiée.

 Exigence n° 13 : pour le principe de la non régression des droits Doit figurer au titre des objectifs de l’Union une clause affirmant le principe de non régression des droits des citoyens de l’Union,selon lequel les lois communautaires ne peuvent s’appliquer que dans la mesure où elles sont plus favorables que les lois, règlements,conventions ou accords de niveau infra communautaire, en particulier au regard du respect des droits fondamentaux tels qu’ils sont exposés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.Les précédents de la semaine de 48 heures et du travail de nuit des femmes montrent qu’une telle clause est indispensable.

 Exigence n° 14 : pas de privilèges pour les Eglises, l’Union doit être laïque L’article I-51 est entièrement consacré aux statut des Eglises et des organisations non confessionnelles. Il est précisé à l’alinéa 3 que « l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces Eglises et organisations ». Ces institutions sont les seules à bénéficier d’une telle reconnaissance officielle dans le traité. Attac demande la suppression de cet alinéa 3 qui fait double emploi avec l’article I-46 : « Les institutions de l’Union entretiennent un dialogue ouvert,transparent et régulier avec les associations représentatives de la société civile ».

 Exigence n° 15 : l’OTAN n’est pas une institution européenne L’article I-40 fait deux fois référence à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), en particulier pour spécifier que la politique de sécurité et de défense commune de l’UE « est compatible avec la politique de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre » (il s’agit du cadre de l’OTAN). Or l’Organisation comprend deux Etats non européens (le Canada et les Etats-Unis) ; 6 Etats actuels ou futurs de l’UE (Autriche, Chypre,Finlande, Irlande, Malte et Suède) n’en font pas partie ; et trois de ses membres européens (Islande, Norvège, Turquie) ne sont pas membres de l’UE. L’OTAN n’est pas une institution européenne,mais le principal outil de la domination des Etats-Unis sur l’Europe. Attac demande la suppression de toute référence à cette institution dans le traité.

 Exigence n° 16 : la militarisation ne saurait être une obligation de l’Union L’article I-40 dispose que « les Etats membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires ». Attac demande la suppression de cette phrase.

 Exigence n° 17 : faciliter les coopérations renforcées L’article I-43, relatif aux coopérations renforcées permettant à plusieurs Etats d’aller plus vite et plus loin dans l’adoption de politiques communes rend lesdites coopérations difficiles, longues à mettre en place, voire pratiquement impossibles : décision de l’ensemble du Conseil à la majorité qualifiée, seuil d’un tiers d’Etats participants, etc. Attac demande la suppression de ce seuil et une simple information du Conseil et du Parlement européen par les gouvernements s’engageant dans une coopération renforcée.

 Exigence n° 18 : étendre la citoyenneté de l’Union Les articles II-39 à II-46 relatifs à la citoyenneté de l’union doivent s’appliquer non seulement aux citoyens de l’union, mais également, selon des procédures à déterminer, aux résidents non ressortissants d’un des Etats membres.

 Exigence n° 19 : pour un véritable droit d’initiative des citoyens dans les politiques de l’Union Selon l’article I-46, « la Commission peut, sur l’initiative d’au moins un million de citoyens de l’Union issus d’un nombre significatif d ’Etats membres, être invitée à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles des citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application de la Constitution ».Cette rédaction laisse la Commission seule de l’opportunité et du contenu de la proposition. Attac demande que la saisine du Conseil et du Parlement soit automatique, sans le filtre de la Commission, lorsqu’un million de signatures sont réunies pour une proposition d’acte juridique ou législatif.

 Exigence n° 20 : la Commission ne doit pas avoir le monopole de l’initiative des lois européennes L’article 1-25 maintient à la Commission le monopole de la proposition d’un acte législatif. Attac demande que le Parlement européen et le Conseil disposent du droit d’initiative d’actes législatifs au même titre que la Commission.

 Exigence n° 21 : le traité doit réellement pouvoir être révisé L’article IV-7 relatif à la procédure de révision du traité établissantla Constitution met en place un véritable parcours d’obstacles,pouvant s’étaler sur des années, en cas de demande de révision du traité. Il précise que « les amendements entreront en vigueur après avoir été ratifiés par tous les Etats membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives ». Ainsi le primat de la concurrence et du libre-échange, le statut minoré des services publics, pour ne prendre que ces exemples, sont susceptibles d’être pérennisés pour l’éternité par un seul Etat membre. Attac demande que la majorité qualifiée soit suffisante pour procéder à une révision du traité.

novembre 2003