Les Européennes ont peu mobilisé, le pouvoir exécutif non plus

PARIS (AFP) - Désintérêt pour l’Europe, succession de scrutins la même année, difficulté à cerner l’importance du Parlement européen, campagne atone et manque d’implication des deux têtes de l’exécutif : tout a concouru dimanche pour que l’abstention atteigne le taux record de 57,2%.
Une abstention dont la tendance s’aggrave d’un scrutin européen à l’autre : de 39,3% en 1979, son taux atteint 43,3% en 1984 et dépassé pour la première fois la barre des 50% en 1989, pour arriver à 53,2% en 1999. La participation aux régionales de mars (62,18%) avait laissé espérer un regain d’intérêt civique qui ne s’est pas confirmé dimanche. Et l’élection européenne reste celle que les Français boudent le plus, avec les référendums. Dimanche, 17,1 millions de personnes se sont déplacées, 24,3 autres millions d’inscrits ont ignoré le scrutin alors que 13,5 millions de téléspectateurs ont suivi le match France-Angleterre sur TF1. Même s’il a multiplié les interventions (radio, télévision, quotidien, Internet), le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin n’a participé qu’à un seul meeting, celui de l’UMP Patrick Gaubert à Paris, tandis que le président Jacques Chirac s’est également impliqué a minima, se bornant à appeler les futurs eurodéputés français à siéger dans les principaux groupes du Parlement européen (PPE et PSE). De leur côté, les Français n’ont pas semblé percevoir l’importance croissante de l’assemblée de Strasbourg, ne voyant sans doute pas ce que cela pouvait changer dans leur vie quotidienne. L’indifférence vis-à-vis de l’Europe et de ses institutions a manifestement été plus forte que l’irritation face à certaines directives tatillonnes de l’UE quand il s’est agi d’aller voter. En outre, nombreux sont ceux qui ne font pas confiance à l’Europe pour l’emploi ou la protection sociale. Selon TNS-Sofres, ils sont 30% à approuver son action dans la lutte contre le chômage et, pour la protection sociale, 67% préfèrent s’en remettre à une politique nationale. Ensuite, les cartes étaient brouillées par la "nationalisation" de l’élection. Nombre de partis, à commencer par le PS, pourtant nettement pro-européen, se sont attardés davantage sur la sanction à infliger au gouvernement que sur les moyens de construire l’Europe sociale qu’ils préconisent. De surcroît, les questions les plus épineuses comme l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne ou l’opportunité d’un référendum sur la Constitution ne sont pas vraiment du ressort du Parlement européen. Pourtant, la France n’est pas le plus mauvais élève de la classe européenne. Le taux d’abstention a dépassé les 60% dans plusieurs des Quinze "anciens" (Portugal, Pays-Bas, Suède) et est encore plus élevé dans plusieurs nouveaux Etats membres (83% en Slovaquie, 80% en Pologne). En France, il est aussi des régions ou départements moins civiques que d’autres : les deux départements d’Alsace, ceux de Corse, Seine-Saint-Denis, Moselle et Haute Savoie sont en queue de peloton. Parmi les meilleurs votants, 48,8% des électeurs parisiens se sont abstenus contre 51,93% à Lyon, 56,52% à Toulouse, 57,51% à Strasbourg, et 64,4% à Marseille. Seule Nantes fait mieux que Paris, avec 44,84% d’abstention. Au delà de ce scrutin, l’abstention est un phénomène structurel aux multiples causes : perception plus floue que dans le passé de l’importance de l’acte électoral, perte d’influence des structures qui incitaient au vote (églises, syndicats, associations) et fossé creusé entre les citoyens et la classe politique qu’ils pensent impuissante à régler leurs problèmes.