Aux Pays-Bas, les partisans du oui craignent les effets d’un non français

LE MONDE | 06.04.05 | 15h21
Bruxelles de notre correspondant

es sondages publiés aux Pays-Bas inquiètent, eux aussi, les partisans du projet de traité constitutionnel européen : dans ce pays où l’on juge souvent avec sévérité les emportements français et où les idées libérales de Frits Bolkestein sont approuvées bien au-delà de son camp, 11 % seulement des personnes interrogées disent avoir l’intention de voter oui lors du référendum qui se tiendra le 1er juin, trois jours après le scrutin français.

Les tenants du non ne sont guère plus nombreux (8 %), et c’est le camp des abstentionnistes déclarés qui triomphe (66 %), le reste des électeurs (15 %) affirmant qu’ils se rendront aux urnes mais n’ont pas encore déterminé leur position.

"Si la France dit non, il n’y aura plus aucun frein, chez nous, pour les adversaires de l’Europe", redoute Thijs Berman, eurodéputé du Parti du travail (PVDA, socialiste). Ce francophile tente, dans son pays, comme lors de réunions tenues en France, à Brest ou à Joinville (Val- de-Marne), de convaincre du bien- fondé d’un texte qui permettra, affirme-t-il, contrairement à ce qu’avance une partie de la gauche française, de "mieux nous protéger des effets négatifs de la globalisation".

"Dire non à la Constitution aujourd’hui, c’est préparer une Europe qui ne pourra plus dire non demain", affirme M. Berman, qui se dit, en outre, "écoeuré" par "l’instrumentalisation" du projet Bolkestein sur la libéralisation des services. "Ce texte, souvent rejeté par des gens qui en méconnaissent le contenu réel, vaut un vrai débat, mais la Constitution n’a rien à voir avec cela, sauf qu’elle sauvegarderait mieux la notion de service d’intérêt général que l’actuel traité de Nice", souligne l’élu de gauche.

Les responsables politiques et les observateurs se divisent, cependant, quant à l’appréciation de l’influence des débats français sur une opinion néerlandaise très peu mobilisée, en général, par l’enjeu européen. "Soyons clairs, les prises de position des uns et des autres n’impressionnent guère plus qu’une discussion entre biochimistes sur la composition d’une molécule", explique Luk Van Middelaar, conseiller du président du parti libéral VVD.

Aux Pays-Bas, tous les grands partis, des chrétiens démocrates, au pouvoir, aux travaillistes, prônent le oui. Ils ont en face d’eux une étrange coalition réunissant l’extrême gauche, que les sondages créditent d’un potentiel de 10 % des voix, les populistes, encore capables de mobiliser de 15 % à 20 % de l’électorat, et de petits partis catholiques fondamentalistes.

M. Van Middelaar en viendrait presque à jalouser les pays secoués par des débats sur l’Union européenne. Il s’étonne toutefois qu’une telle discussion survienne en France, "un pays qui, lors des travaux de la Convention, a obtenu tout ce qu’il voulait, de l’exception culturelle à la protection des services publics, en agitant, précisément, le risque d’un référendum qui tournerait mal".

"FLAGRANT CONSERVATISME"

Il détecte dans l’apparent refus français "une peur du changement, une peur du grand marché, une peur de perte d’influence en Europe". "Ce qui se déroule en France n’a rien à voir avec Bolkestein, mais avec la France elle-même", acquiesce Derk-Jan Eppink, haut fonctionnaire néerlandais à la Commission de Bruxelles, proche, lui aussi, de l’ex-commissaire néerlandais chargé du marché intérieur.

Comme beaucoup de Néerlandais, il pense que si M. Bolkestein a été "transformé en bouc émissaire, en symbole mythique de l’ultralibéralisme", c’est parce que l’opinion française manifeste une inquiétude. Celle de "voir détricotée une société qui se croit très solidaire mais est, surtout, très égoïste et solidaire... avec elle-même", approuve Pieter Kottman, correspondant à Paris du quotidien NRC-Handelsblad.

Fokke Obbema, correspondant en France du quotidien de gauche Volkskrant, nuance. "L’absence de débat européen aux Pays-Bas est presque indécente. Nous aurions bien besoin d’un peu de la passion française pour, par exemple, aborder sérieusement la question des délocalisations. Dommage que la discussion française n’évite ni les amalgames ni un flagrant conservatisme."

Pour asseoir leurs critiques contre la France, les Néerlandais déplorent que Paris ait, avec la complicité de Berlin, obtenu la révision des règles du pacte de stabilité qui garantissent la stabilité de l’euro. La monnaie unique avait été acceptée à contre-coeur, à l’époque, par une opinion très attachée au florin, "qui fut stable pendant trois cents ans", souligne Derk-Jan Eppink.

Le sociologue Paul Scheffer se demande, quant à lui, si, en définitive, un non français ne réjouirait pas une majorité de ses concitoyens. "Rappelez-vous que les Néerlandais sont traditionnellement des Européens anticontinentaux, tournés davantage vers les mers et lemonde anglo-saxon que vers une Europe trop dépendante par rapport à la France et à l’Allemagne..."

Jean-Pierre Stroobants