La gauche des Verts combat le oui de « Dany »

L’eurodéputé allemand Daniel Cohn-Bendit, qui vient défendre la Constitution, est mieux accueilli au PS que chez les écolos.

Par Alain AUFFRAY Liberation

cohn-Bendit et les Verts français, histoire d’un amour vache. Pour se faire entendre, les écolos hexagonaux sont tentés de faire appel à l’inusable « figure de mai 1968 ». Et, de son côté, l’Allemand Cohn-Bendit adore se montrer de ce côté-ci du Rhin où d’aucuns le vénèrent comme un monument historique. Mais les icônes sont faites pour qu’on les bouscule. Et à l’occasion de cette campagne référendaire, les militants du non, de la gauche des Verts jusqu’à l’extrême gauche, ne se privent pas de le faire. Ayant posé comme principe que le « oui n’a pas d’odeur », Cohn-Bendit a prévu, jusqu’au 29 mai, une bonne vingtaine de réunions publiques avec des socialistes, des écologistes, mais aussi avec le patron de l’UDF François Bayrou, le 3 mai, et le ministre UMP des Affaires étrangères Michel Barnier, le 9 mai. Ce pluralisme est contraire à la ligne officielle des Verts, qui stipule « que l’ensemble des personnalités portant la parole des Verts ne participe pas à des meetings d’autres partis ». Pour avoir enfreint cette règle, Cohn-Bendit est interdit de séjour dans la campagne officielle des Verts français.

Invité vedette. Demain soir, DCB sera pourtant l’invité vedette du meeting organisé dans le XIVe arrondissement de Paris par des militants écologistes auxquels la direction du parti a refusé toute aide financière. Selon toute vraisemblance, cette réunion sera plus fréquentée que le « meeting national des Verts » de lundi à la Villette. Pour Patrice Gohier, maire adjoint du XIIIe et organisateur de la soirée, le collège exécutif des Verts commet une « faute politique » en excluant « le meilleur ambassadeur de l’Europe écologiste et sociale ». Cécile Duflot, jeune porte-parole des Verts, n’est pas de cet avis. Selon elle, « les arguments de Dany ne portent plus. Son discours sur la paix qui serait menacée par le non, ça ne marche plus ». Autre partisan du non, Patrick Farbiaz constate qu’après le succès du retour de Cohn-Bendit aux européennes de 1999, « sorte de revival pour la génération 68 », on voit apparaître « un fossé culturel et politique » : « Plus que l’icône de 68, Dany est le représentant d’un parti de gouvernement qui cautionne en Allemagne des réformes sociales inacceptables. »

Les principaux défenseurs du oui écolo, Denis Baupin et Jean-Luc Bennahmias, se consolent en constatant que Cohn-Bendit n’a « pas besoin des Verts pour se faire entendre en France ». Et, de fait, on se bousculait pour l’entendre aux meetings organisés avec le PS à Besançon, comme à Talence. A Talence, Alain Rousset, président PS de la région Aquitaine, a été frappé par l’impact du discours de DCB sur ses quelque 700 auditeurs, essentiellement des militants socialistes plutôt réservés sur la Constitution : « Ils étaient scotchés. Cohn-Bendit, c’est l’Européen par excellence. Il a du souffle, il donne du sens à ce débat. »

Energique. C’est que « Dany » défend son oui avec énergie. Pour cette nouvelle campagne en France, il improvise sur un canevas parfaitement maîtrisé. Cette construction européenne, il la défend, dit-il, « pour des raisons existentielles ». Il rappelle sa famille juive qui a fui le nazisme jusqu’à Montauban, sa ville natale, où son frère aîné, Gaby, a échappé aux rafles : « L’Europe, c’est une dette. » Cohn-Bendit raconte les larmes de Kohl quand il a abandonné, avec le Deutsche Mark, le plus fort symbole de la république fédérale. Il assure que c’est moins au nom du libéralisme que de l’antinazisme que l’Allemagne a exigé l’indépendance de la Banque centrale européenne. Pour conquérir la salle, il ne recule devant aucun artifice, mobilisant les émotions, rugissant quand les applaudissements se font rares.

Passablement déprimé par la puissance du non, Cohn-Bendit se sent un peu seul : « Le problème, c’est qu’il n’y a pas de militants européens », confiait-il après le meeting de Talence. Les vrais militants, les plus actifs et les plus déterminés, sont contre la Constitution. Membres d’Attac, de la LCR ou des « Verts pour le non », ils s’invitent à l’entrée des réunions pour dénoncer la trahison de « Dany le rouge, laquais du libéralisme ». A Montpellier, le 8 avril, quelques dizaines d’opposants au traité ont interrompu son discours devant 500 personnes en le bombardant d’oeufs et d’insultes : « La dernière fois que j’ai été accueilli de cette façon, c’était par les fachos chasseurs », a-t-il lancé à ses « agresseurs ».

Perles. Devant les micros, DCB tire à boulets rouges sur « les camarades trotskistes qui donnent des leçons de démocratie à tout le monde ». Il cogne lourdement, en donnant lecture de quelques perles puisées dans les actes des congrès bolcheviques. Il cite Trotski, stigmatisant « le principe bourgeois » de la démocratie. « Ça, ce n’est pas dans la Constitution », révèle-t-il à un public hilare. Mais à tout juste 60 ans, Cohn-Bendit se lasse de son interminable règlement de comptes avec le gauchisme français. « Je me demande si ce n’est pas ma dernière campagne », confiait-il la semaine dernière. Il avait l’air sincère.