Contribution de Jacques Nikonoff, président d’Attac-France

Les sondages deviennent de plus en plus volatiles. Le même jour, ils donnent 52 % (- 4 %), 58 % (+ 6 %) et même 62 % pour le « non » !

Le sondage du CSA publié dans le Parisien du 21 avril mérite une analyse particulière. Le « non », en effet, passe de 56 % à 52 % et perd 4 points. Il est encore trop tôt pour dire s’il s’agit d’une véritable tendance de fond qui se dessine, ou d’un simple effet de volatilité ponctuelle de l’électorat, habituel dans les campagnes électorales. Néanmoins les résultats de ce sondage nous rappellent utilement que rien n’est joué et que nous devons de toute urgence adapter notre campagne à l’évolution du débat d’idées.

Comment expliquer le recul du « non » dans ce sondage, d’ailleurs démenti par d’autres sondages de la même période ? En devenant majoritaires dans les sondages sans discontinuer depuis le 18 mars, les partisans du « non » ont changé de statut pour les citoyens sans véritablement se rendre compte qu’ils devaient en assumer toutes les responsabilités. Nous sommes en effet passés de « challengers » à « leaders ». Dès lors les citoyens attendent qu’on leur dise ce qui se passera, qui pourrait ou devrait se passer après le 29 mai en cas de victoire du « non ». La « Une » du Parisien résume bien la situation : « les tenants du non donnent soudain le sentiment de patiner (un peu). Que feraient-ils de leur victoire ? ». Or la réponse apportée à cette question, qui est aujourd’hui décisive et qui ne l’était pas vraiment il y a encore un mois, reste insuffisante. C’est la raison pour laquelle les partisans du « oui » insistent sur ce point faible en agitant le spectre du « cataclysme » en cas de victoire du « non » et de l’affaiblissement de la France en Europe.

En comparant les deux derniers sondages du CSA (celui des 19 et 20 avril qui donne 52 % pour le « non » et celui des 12 et 13 avril qui donne 56 % pour le « non »), on voit parfaitement clair dans ce qui a bougé en une semaine. Ce sont les abstentionnistes et ceux qui n’ont pas de « préférence partisane » qui ont basculé (légèrement) vers le « oui », alors que les électorats de droite et de gauche restent stables. Les personnes se déclarant « sans préférence partisane (ni de droite, ni de gauche) étaient en effet 62 % à voter « non » ; elles ne sont plus que 55 % (- 7 %). Comme le taux d’abstention dans cette catégorie n’a pas bougé (67 %), ce sont bien des changements de sens du vote qui ont eu lieu, du « non » vers le « oui ». Quant aux partisans du « non » à gauche ils restent, à 61 %, sans changement ; alors que ceux de droite ne gagnent qu’un point (de 31 à 32 %). Ceci confirme la stabilisation dans les électorats traditionnels de gauche et de droite. Tout se jouera donc chez les abstentionnistes et les personnes « sans préférence partisane ».

Entrons un peu dans le détail pour identifier d’où viennent les pertes du « non ».

Le « non » baisse :

 chez les professions intermédiaires de 61 % à 54 % (- 7 %) ;

 chez les salariés en général de 59 % à 51 % (- 8 %). Comme le taux d’abstention n’a pas bougé (entre 44 et 45 %), cela signifie que des personnes s’apprêtant à voter « non » ont changé pour voter « oui » ;

 chez les ouvriers de 71 % à 55 % (- 16 %). L’abstention baisse et passe de 55 % à 41 %, ce qui pourrait être interprété comme un afflux de nouveaux votants se prononçant majoritairement pour le « oui » ;

 chez les salariés du secteur public de 65 % à 53 % (- 12 %). Là aussi des personnes ont changé le sens de leur vote en faveur du « oui » puisque l’abstention est stabilisée (de 48 à 45 %) ;

 chez les salariés du secteur privé de 57 % à 51 % (- 6 %), par un changement du sens du vote ;

 chez les lycéens et étudiants de 55 % à 42 % (- 13 %), mais augmentation de l’abstention (de 28 % à 50 %) ce qui signifierait que des partisans du « non » auraient basculé dans l’abstention.

Tout ceci doit être interprété avec beaucoup de prudence, mais la tendance nous donne des clés pour agir.

Si nous voulons gagner, notre campagne doit faire l’objet d’une adaptation radicale et urgente dans deux directions :

 multiplier les explications sur ce qui pourrait se passer en cas de victoire du « non » ;

 diffuser ces explications principalement auprès des abstentionnistes et de ceux qui se disent « sans préférence partisane ».

I.- Multiplier les explications sur ce qui pourrait se passer en cas de victoire du « non »

Si notre retard commence à se combler, il reste encore beaucoup d’efforts à accomplir dans des délais très brefs.

A.- Un retard qui commence à se combler

Lors du Conseil d’administration du 12 mars, avant même le sondage qui donnait pour la première fois le « non » en tête (18 mars), nous avons décidé d’engager une « deuxième phase » de notre campagne. Un communiqué, largement diffusé, en a exposé l’analyse. Son objectif était de « décrocher » les abstentionnistes et de « consolider les convictions et l’engagement de ceux qui annoncent qu’ils voteront non ». Cette deuxième phase devait comporter « quatre axes » qui restent parfaitement valables :

 Diffuser le contenu réel du traité constitutionnel et nos analyses. Cette activité est fondamentale puisque c’est sur ce texte que les citoyens devront se prononcer lors du référendum. C’est l’activité principale d’Attac depuis le début de la campagne, et les notes d’analyses et argumentaires, ainsi que les innombrables réunions publiques organisées sur ce thème par les Comités locaux ont puissamment contribué à l’avancée du « non » parmi les citoyens, reflétée dans les sondages. A cet égard, le livre Cette Constitution qui piège l’Europe a déjà été vendu à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Il est même en tête des ventes de tous les livres sur l’Europe. Le Conseil d’administration du 12 mars notait cependant qu’il fallait aller bien au-delà, en suivant trois nouveaux axes.

 Mieux établir le lien entre le traité constitutionnel, les politiques nationales et toute la construction européenne de ces dernières années, particulièrement depuis l’Acte unique de 1986. On ne peut en effet séparer la Constitution européenne de tout ce qui l’a précédé, puisqu’elle agglomère précisément les traités antérieurs qui ont façonné l’Union européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui et qui l’ont plongé dans la crise. De facto, le référendum ne porte pas seulement sur l’adoption ou non de la Constitution, mais aussi sur l’ensemble de la construction européenne. De premières notes ont été rédigées et se trouvent sur le site Internet de l’association.

 Produire une argumentation solide pour éclairer le débat sur les conséquences d’une victoire du « oui » ou du « non ». Le chantage au chaos dont menacent les partisans du « oui » en cas de victoire du « non » peut avoir des effets dissuadant de voter « non ». Nous avons commencé à aborder ces questions, principalement dans le livre Constitution européenne : ils se sont dit oui.

 Préciser les perspectives d’une autre Europe. Nous disposons des « 21 exigences » qui sont un socle robuste. Mais nous devons identifier les « ruptures » avec les politiques néolibérales qui permettraient de construire une Europe sociale, solidaire, démocratique, de paix et de coopération internationale. Plusieurs notes thématiques se trouvent sur le site Internet, il faut désormais les compléter et passer maintenant à la synthèse.

Cette production intellectuelle est de la responsabilité du Conseil d’administration et de ses commissions, du Conseil scientifique, mais aussi des Comités locaux.

B.- Quelle situation probable au lendemain d’une victoire du « non » ?

Pour Nicolas Sarkozy « La France restera derrière, isolée, elle ne pèsera plus ». Pour Jacques Delors, il y aura un « cataclysme politique » en France, et en Europe une « crise très grave ». En vérité, si le « non » l’emporte, deux aspects sont à considérer : au plan juridique et au plan politique.

1.- Sur le plan juridique

Contrairement à ce que prétendent les partisans du « oui », une victoire du « non » ne changerait strictement rien par rapport à la situation actuelle.

La Constitution européenne, certes, deviendrait immédiatement caduque, et c’est précisément le combat que nous menons. Beaucoup de citoyens croient pourtant que la Constitution s’appliquerait alors à tous les pays de l’Union, sauf à la France ! D’où la crainte de l’isolement. Il nous faut marteler que c’est le traité de Nice qui régira l’Union européenne, comme c’est le cas aujourd’hui.

Il est vrai que pour des raisons purement électoralistes, les partisans du « oui » disent le pire de ce traité qu’ils ont pourtant signé avec enthousiasme. Pour l’UMP, ce serait le « pire traité jamais élaboré en matière de construction européenne ». Pour le PS, nous aurions « une Europe en crise à partir de laquelle rien ne sera possible pour l’avenir ».

Au lendemain de la signature du traité de Nice, Jacques Chirac déclarait pourtant que c’était le « meilleur texte européen signé depuis l’existence du Marché commun », alors que Lionel Jospin, Premier ministre à l’époque, se félicitait que « le sommet de Nice a été un rendez-vous réussi ».

Nous rappellerons dans notre argumentation que le traité de Nice a été signé le 26 février 2001 par les 15 Etats alors membres de l’Union européenne, dont 13 gouvernements socialistes. Il est entré en vigueur le 1er février 2003 pour les Quinze et le 1er mai 2004 pour les Vingt-Cinq. Personne n’a observé le moindre « cataclysme » depuis son entrée en vigueur, même si les politiques européennes ont continué leurs effets dévastateurs.

Ce traité prévoit notamment que le mode de calcul de la majorité qualifiée restera en vigueur jusqu’en 2009. Ainsi, que le « oui » ou le « non » l’emportent, rien ne changera de toute manière, concernant cette question, avant 2009. Par ailleurs, le traité de Nice a une durée illimitée, aucun butoir ne nécessite donc d’accélérer les discussions pour renégocier la Constitution ou conclure un ou plusieurs nouveaux traités.

Continuer, comme aujourd’hui, à fonctionner avec le traité de Nice ne crée donc aucun vide juridique.

2.- Sur le plan politique

Si la France dit « non » le 29 mai, de meilleures conditions seraient créées pour donner une puissante impulsion à la refondation de l’Union européenne. La France ne sera pas isolée, c’est exactement le contraire. Elle reprendra la main. Elle sera au centre du jeu européen. De toute manière l’Europe sans la France n’existe pas.

La situation ressemblera à celle que l’on a connu au moment de la guerre des Etats-Unis contre l’Irak. Alors que plusieurs pays de l’Union européenne, et notamment la quasi-totalité des nouveaux entrants avaient annoncé leur soutien aux Etats-Unis et promis d’envoyer des troupes, comme la Grande-Bretagne et l’Italie, la France, seule, par la voix du président de la République, s’est opposée à cette guerre. Elle a été rejointe par l’Allemagne, puis ensuite par la Russie, la Chine, le Brésil et de très nombreux autres pays, particulièrement du Sud. Certes, la France était très minoritaire parmi les gouvernements européens. Mais les peuples de l’Union européenne, eux, soutenaient l’action de la France en faveur de la paix. Ce sont les gouvernements d’Espagne, de Grande-Bretagne et d’Italie qui étaient ultra minoritaires dans leurs propres pays, comme en ont témoigné les gigantesques manifestations qui s’y sont déroulées, traduites dans les sondages.

En cas de victoire du « non » en France, la situation sera identique : les gouvernements de l’Union déploreront ce vote, mais nous aurons le soutien d’une très large fraction des peuples européens. Et nous obtiendrons leur soutien parce que le « non » que nous portons est européen. Il est anti-libéral. Il est universaliste et animé de l’esprit des Lumières. Que vaut-il mieux avoir ? Le soutien de gouvernements ultra-libéraux (BerlusconiŠ) ou sociaux-libéraux (Blair, SchröderŠ), ou celui de la fraction la plus progressiste des peuples des nations d’Europe ?

En cas de victoire du « non », on nous demande ce qui se passera sur le plan institutionnel, à l’échelle européenne, et ce que sera le rôle des forces qui se sont engagées pour le « non ». Quelles réponses leur donner ?

a.- Que se passera-t-il pour les institutions européennes ?

Les institutions européennes (Parlement européen, Cour de justice, Conseil, Commission) resteront en place, rien ne changera. Elles seront régies, comme aujourd’hui, par le traité de Nice. Selon Le Figaro du 18 avril, il existerait un « plan de Bruxelles en cas de vote négatif de la France ». Ce plan écarte l’idée de faire revoter les Français, comme ce fut le cas pour les Danois en 1992 et les Irlandais en 2001. Le Conseil européen devrait faire le point en 2006 et tenir compte d’éventuels autres rejets de la Constitution par certains pays. Le traité constitutionnel pourrait, après négociations, être réduit pour parvenir à un accord unanime des Vingt-Cinq. Par ailleurs, des accords pourraient être conclus entre groupes de pays.

Le schéma de Bruxelles apparaît finalement assez réaliste. Tous les pays de l’Union européenne ont en effet intérêt à ce que la première partie de la Constitution entre en vigueur. Il s’agit des procédures institutionnelles prévues pour fonctionner à 25 et non à 15 comme le prévoit le traité de Nice. Le cas le plus probable est celui, dans un premier temps, d’une renégociation du traité de Nice sur cet aspect. Tout ceci peut aller très vite, quelques semaines tout au plus.

Les partisans du « oui » veulent nous faire croire qu’une renégociation serait impossible. C’est de l’intoxication, car cette négociation a déjà eu lieu ! La partie I du traité constitutionnel, qui porte notamment sur les « institutions et organes de l’Union », est le résultat d’un compromis déjà réalisé. Il suffira de reprendre cette partie de la Constitution et de l’intégrer au traité de Nice.

En cas de victoire du « non » en France, le président de la République et le gouvernement devraient respecter la souveraineté populaire. Le résultat de ce référendum donnera un mandat au président de la République et au gouvernement qui devraient agir, au sein des institutions européennes, conformément à la volonté populaire.

Ils devraient commencer par faire de la pédagogie en Europe. Un « non » français pourrait en effet traumatiser certains gouvernements de l’Union. Il faudra donc leur expliquer le sens de ce résultat. Au-delà des gouvernants, c’est aux citoyens des pays de l’Union qu’il faudra faire comprendre les raisons du « non » français.

Si le gouvernement français voulait respecter la volonté populaire, il saisirait l’occasion de la réunion du Conseil européen du 16 juin 2005. Après les référendums en France et aux Pays-Bas, ce Conseil devrait être l’occasion d’engager la refondation de l’Union européenne sur des bases radicalement nouvelles. Le chef de l’Etat devrait y faire une déclaration solennelle invitant les autres pays membres à reprendre les discussions sur les questions qui auront motivé le « non » français.

Mais n’ayons pas d’illusions.

Il est peu probable que Jacques Chirac agisse de la sorte. L’expérience en témoigne. Élu face à Le Pen au deuxième tour de la présidentielle, grâce aux voix de gauche et de droite, Chirac aurait dû conduire une politique qui tienne compte de cette réalité. Au lieu de cela il a choisi de ne tenir aucun compte des conditions très particulières de son élection, et de s’engager dans une fuite en avant ultra-libérale.

Tout reposera donc, comme toujours, sur les mobilisations populaires.

b.- Quel pourrait être le rôle des forces qui se sont engagées pour le « non », en France et ailleurs ?

Ces mobilisations à organiser en France et en Europe auront pour but de peser sur les gouvernements, le Conseil et la Commission afin d’infléchir la construction européenne. Elles pourraient se décliner en quatre axes :

 Il faudra stopper de toute urgence les projets nuisibles que concocte la Commission européenne.

Il s’agit des directives européennes en cours (Bolkestein sur les services, sur le temps de travail, sur les transportsŠ) qui devront être retirées.

Un moratoire immédiat devrait être déclaré sur la libéralisation des services publics et les privatisations qui suivent généralement.

Au sein de l’OMC, le représentant de l’Union européenne devrait annoncer le retrait de l’Union des négociations sur l’Accord général sur le commerce des services (AGCS).

 Il faudra clarifier le point de savoir s’il faut lutter pour une autre constitution ou pour des traités thématiques.

En cas de victoire du « non », nous devrons nous mettre d’accord pour savoir si nous devons lutter pour amender la Constitution, en élaborer une nouvelle ou nous orienter vers une construction européenne fondée sur des traités thématiques à géométrie variable. Dans son document, le professeur de droit de Marseille, Monsieur Chouard, qui fait un tabac sur Internet, rappelle qu’une constitution ne doit pas être octroyée par les puissants, mais qu’elle doit être établie par le peuple lui-même, précisément pour se protéger de l’arbitraire des puissants à travers une assemblée constituante, indépendante, élue pour cela et révoquée après. Or le texte de la Constitution européenne a été écrit par les puissants, par ceux qui sont au pouvoir ou qui l’ont été, et qui sont ainsi juge et partie.

Lutter pour une nouvelle constitution, si tel était le choix que nous retenions, devrait commencer par l’élaboration de propositions permettant d’établir une assemblée constituante réelle à l’échelle européenne. Ce serait le seul moyen de construire une véritable union européenne démocratique. Ne pas commencer par la mise en place d’une assemblée constituante ne ferait que reproduire le schéma actuel : une union européenne contrôlée par les élites, construite par en haut en dehors des peuples européens.

L’autre alternative, plus efficace, serait de lutter pour des traités thématiques. Ils ne rassembleraient pas nécessairement les 25 pays membres actuels de l’Union. Chacun doit pouvoir progresser à son rythme, et certains traités pourraient être signés à 6, à 12, à 25, à 30. Ils pourraient concerner la politique monétaire, le Pacte de stabilité, les services publics, la fiscalité, les délocalisations, les droits sociauxŠ C’est ce qu’on appelle les « coopérations renforcées » qui pourront fonctionner très rapidement. Il n’y a pas besoin de constitution pour cela.

De toute manière, après le « non » il faudra renégocier le traité de Nice, en bloc ou par morceaux.

 Il faudra définir quelques éléments principaux de « ruptures » avec les politiques néolibérales européennes.

Une victoire du « non » donnera l’occasion de redéfinir les objectifs de la construction européenne et les moyens d’y parvenir. Pourquoi « faire » l’Europe ? Comment ? Avec qui ? Quels projets ? Quelles coopérations ? Quels points renégocier ?

La construction européenne doit être purgée des politiques néolibérales, particulièrement de la « concurrence libre et non faussée » et du « libre échange ». L’Europe doit enfin devenir démocratique, indépendante, solidaire, internationaliste. Elle doit viser au développement économique et social et au bien-être de tous les peuples du continent, dans la coopération avec les autres pays, particulièrement ceux du Sud. Quelques pistes sont indiquées en annexe.

 Élargir la mobilisation à l’échelle de toute l’Europe.

Si le « non » triomphe en France, de nombreux débats seront suscités en Europe, dans les partis politiques, les syndicats, les associations, et plus généralement parmi les citoyens. Il ne faudra pas compter sur le gouvernement pour expliquer le « non » français.

A nous de le faire ! Il faudra trouver les moyens d’organiser des rencontres, dans ces pays, pour élargir le cercle de ceux qui veulent une autre Europe.

II.- Diffuser ces explications, principalement auprès des abstentionnistes et de ceux qui se disent « sans préférence partisane »

Il reste moins de 40 jours avant le référendum du 29 mai. Comment les utiliser au mieux pour assurer la victoire du « non » ? Pour répondre correctement à ces questions, nous devons avoir à l’esprit les caractéristiques de la situation actuelle :

 Si le débat doit se poursuivre sur le contenu de la Constitution européenne, il évolue désormais vers des interrogations sur la situation qui serait créée par la victoire du « non » et le risque d’isolement de la France.

 Les sondages, s’ils donnent sans discontinuer le « non » vainqueur depuis le 18 mars, restent néanmoins marqués par une forte instabilité d’une partie de l’électorat qui touche les abstentionnistes et les personnes se déclarant « sans préférence partisane ». Des revirements brutaux restent possibles en faveur du « oui », comme ce fut le cas pour le « non » entre le 4 et le 18 mars, où le « non » est passé de 40 à 52 %.

 Le niveau de l’abstention, des votes blancs et nuls reste élevé (43 %). Personne ne peut dire aujourd’hui si une augmentation du taux de participation au vote serait favorable au « oui » ou au « non ».

 Un grand nombre d’électeurs se décident dans les tous derniers jours, en fonction de ce qui a été dit pendant la campagne, et principalement à la fin. Lors des élections européennes de 2004, ils ont été 18 % à se décider le jour du scrutin et 21 % dans les quelques jours avant. Pour les élections régionales de 2004, 15 % des électeurs se sont décidés le jour même et 18 % un peu avant. C’est considérable et ces mouvements peuvent changer le sens du vote.

 La campagne officielle, les quinze derniers jours, donnera dans les médias audiovisuels une image très particulière du « non » puisque ne seront présents que Charles Pasqua, Philippe de Villiers, Jean-Marie Le Pen et Marie-George Buffet. Les hésitants peuvent alors décider de voter « oui » en réaction de rejet vis-à-vis des partis du « non » de droite et d’extrême droite. Tel était d’ailleurs l’objectif de la manŠuvre du gouvernement quand il a décidé des modalités scandaleuses de la campagne officielle.

Trois axes peuvent être envisagés pour cette fin de campagne :

A.- Obtenir des soutiens venant des autres pays de l’Union

Les partisans du « oui », en Europe, sont beaucoup plus mobilisés que ceux du « non ». Il n’est pas un jour où la presse française ne publie une tribune ou un entretien avec un responsable politique ou un intellectuel d’un des pays membre de l’Union pour appeler les Français à voter « oui ». Tel n’est pas le cas pour les partisans du « non » qui font preuve d’une grande discrétion, alimentant ainsi l’impression que la France sera isolée puisque personne, apparemment, dans les autres pays de l’Union, ne soutient le « non » français.

Il est temps de réagir et de mobiliser nos contacts dans l’Union européenne, principalement les Attac. Nous allons leur demander de susciter la rédaction de tribunes dans la presse française, pour faire contrepoids aux tribunes favorables au « oui ». Nous leur demanderons aussi, pays par pays, et notamment dans ceux qui sont privés de référendum, de lancer un appel d’intellectuels, de syndicalistes, de militants associatifs pour marquer leur rejet de la Constitution et soutenir notre combat en faveur du « non », montrant ainsi que la France n’est pas et ne sera pas isolée.

Déjà, avec les volontaires européens qui commencent à participer à nos réunions publiques et à la campagne dans certains Comités locaux, nous montrons la dimension européenne de notre combat et témoignons ainsi de la solidarité qui existe hors de nos frontières. Il faudra faire largement connaître cette initiative qui est restée pour l’instant très confidentielle.

L’initiative du 30 avril à la porte de Versailles permettra de donner une grande visibilité à la solidarité internationale qui entoure notre combat pour le « non ». Elle devrait permettre de percer le mur de silence érigé par les médias et contribuer à montrer que la France ne sera pas isolée en cas de victoire du « non », que des forces nombreuses et puissantes nous soutiennent. Certes, chaque Comité local est engagé, sur le terrain, dans de nombreuses initiatives. Mais il ne faut pas séparer le local du national. Le « non » altermondialiste, le « non » d’Attac, doit être entendu très fort. Nous ne devons pas laisser les partisans du « oui » seuls à organiser des meetings nationaux. La mobilisation de chaque Comité local, de chaque adhérent est donc indispensable pour assurer le succès de notre rassemblement du 30 avril à Paris, porte de Versailles.

B.- Assurer le succès des grands meetings unitaires

Les partisans du « oui » commencent à organiser de grands meetings. C’est le cas pour le PS et l’UMP qui terminera sa campagne par une rencontre au Zénith. Quant à l’UDF, elle a programmé des meetings régionaux.

En face, de grands meetings commencent à s’organiser à l’initiative de collectifs unitaires auxquels participent souvent les Comités locaux d’Attac. Ils revêtent un intérêt particulier. Ils rassemblent beaucoup de monde (record, pour l’instant, à Grenoble, avec 1 800 participants) et, quand ils sont couverts par les médias, montrent la force des partisans du « non ». Ils suscitent l’enthousiasme des participants et contribuent à créer et à alimenter la dynamique du « non ». Ils permettent de donner des arguments aux participants qui les répercutent autour d’eux, notamment sur les évolutions au jour le jour de la campagne.

Beaucoup de Comités locaux sont engagées dans ces collectifs unitaires. Ils auront à cŠur d’Šuvrer pour que les deux dernières semaines soient marquées par de très grands meetings départementaux et régionaux. Face aux rassemblements organisés par les partisans du « oui », nous ne pouvons pas déserter le terrain.

C.- Amplifier notre activité d’éducation populaire de proximité

Elle pourrait s’articuler autour des 4 éléments suivants :

1.- Concevoir correctement les meetings unitaires

L’importance cruciale des grands meetings unitaires a été soulignée. Néanmoins, trois limites doivent être mentionnées :

 Selon leur format, les meetings organisés par des collectifs unitaires peuvent contribuer à assimiler Attac à un parti politique. Nous avons toujours attiré l’attention sur ce risque en invitant les Comités locaux à ne pas s’enfermer dans un tête à tête avec les partis. Lors de ces meetings, il convient de veiller à leur caractère véritablement pluraliste, en choisissant des intervenants qui n’émanent pas tous de partis politiques. Il faut des syndicalistes et des militants associatifs. Dans ces meetings, Attac ne peut pas être la seule organisation qui ne soit pas un parti politique.

 L’organisation de ces meetings unitaires peut être contreproductive. C’est le cas lorsqu’il y a trop d’intervenants. Ces derniers ont alors un temps de parole très court et il devient difficile de développer des arguments de fond. Les interventions risquent d’apparaître comme une succession de slogans peu convaincants. Lorsqu’un débat a lieu avec la salle, trop peu de réactions du public sont permises, d’autant que les nombreux intervenants de la tribune veulent généralement y répondre chacun à leur tour..

 Les meetings en faveur du « non de gauche » sont indispensables mais ne peuvent être le seul mode d’expression publique d’Attac. Face au « oui » de droite et du PS, les partis de gauche affirment légitimement le « non » de gauche. C’est d’autant plus important que des électeurs de gauche sont troublés par le mélange du « oui » de l’UMP, de l’UDF, du MEDEF et du PS. Toutes les études montrent d’ailleurs que le « non » est très largement majoritaire dans l’électorat de gauche. Mais si l’affirmation du « non » de gauche est indispensable, cette seule modalité de campagne ne peut suffire. Le vote sur la Constitution européenne, s’il recouvre le clivage gauche/droite, le dépasse également. L’absence de véritable assemblée constituante et l’introduction d’orientations politiques dans le texte choquent des milieux bien au-delà de la gauche. Par ailleurs, si ce sont les abstentionnistes et les électeurs qui se déclarent « sans préférence partisane » qui vont faire la différence, on ne peut simplement en rester à des meetings organisés par des collectifs pour le « non de gauche ». Ces électeurs ne mettront jamais les pieds dans ces meetings alors que ce sont eux qu’il faut désormais convaincre.

2.- Mieux faire apparaître le « non » altermondialiste

Des meetings et conférences-débat organisés par Attac sont donc indispensables, en plus des meetings unitaires, pour faire entendre le « non » altermondialiste. Au-delà du simple rassemblement des cercles militants, nous voulons toucher largement le public, et pas simplement l’électorat de gauche ou celui influencé par les organisations membres de ces collectifs. Plutôt que des meetings, il faudrait d’ailleurs poursuivre notre activité d’éducation populaire en organisant des conférences-débat jusqu’à la fin de la campagne.

Dans cette fin de campagne il faut ratisser large et marcher sur ses deux jambes : les initiatives des collectifs unitaires qui créent la dynamique ; chaque organisation qui cultive ses propres réseaux. Il ne faut pas faire l’un sans l’autre.

3.- Amplifier le travail de proximité

L’UMP a décidé, en plus de l’organisation de grands meetings, de tenir des réunions d’appartement, 577 réunions de circonscription et des réunions dans toutes les universités.

Nous ne pouvons pas faire moins !

 Concernant les réunions publiques organisées par les Comités locaux d’Attac, le siège en comptabilise près de 300. Ce chiffre est cependant largement sous-estimé car tous les Comités locaux, loin de là, ne communiquent pas sur leur activité. Il n’en reste pas moins que nous sommes apparemment très en dessous de ce que fait l’UMP. Il est vrai que nous n’avons que 30 000 adhérents alors que l’UMP en compte 140 000, et cette faiblesse numérique nous fait aujourd’hui cruellement défaut. Nous pourrions nous fixer pour objectif, d’ici le 29 mai, et particulièrement les 15 derniers jours, d’organiser un maximum de rencontres publiques, en plus de celles qui se sont déjà tenues. L’idéal serait de battre l’UMP et de tendre vers l’organisation d’une rencontre par canton, ce qui est parfaitement possible si nous mobilisons nos adhérentsŠ

 Nous pourrions aussi nous fixer l’objectif d’une réunion publique organisée par Attac dans chaque université. Allons-nous laisser l’UMP seule dans certaines universités ? Là où Attac-Campus est organisée, c’est de la responsabilité de nos camarades qui ont déjà beaucoup donné. Dans les autres cas, les adhérents d’Attac travaillant dans une université (agents de service, administratifs, enseignants), ainsi que les Comités locaux, en liaison avec Attac-Campus, peuvent contribuer à organiser de telles réunions.

 Des militants d’Attac ont proposé des modèles de lettres que chacun, individuellement, peut adresser aux membres de sa famille, à ses amis, ses voisins, ses collègues de travail. Ces lettres expliquent pourquoi le signataire va voter « non » et appelle les destinataires à en faire autant. Il est également possible de proposer d’organiser une chaîne, ceux qui reçoivent la lettre et qui s’apprêtent à voter « non » peuvent ainsi l’envoyer à leurs amis, voisins, etc. Ou encore ces lettres peuvent proposer une réunion d’appartement pour discuter de la Constitution européenne. Ce travail de fourmi est payant et peut contribuer à convaincre des indécis.

 Il faudra aussi continuer à « tenir » les marchés et à systématiser la démarche. Les tracts distribués devront tenir compte de l’évolution du débat et correspondre aux questions d’actualité, en plus des arguments de fond sur la Constitution.

 Le week end des 21 et 22 mai, une semaine avant le scrutin, doit retenir toute notre attention. Les partisans du « oui » prévoient de multiplier les initiatives et d’occuper les ondes et les écrans. Nous avons lancé un appel aux Comités locaux pour qu’ils organisent eux aussi, de manière très décentralisée, des initiatives. Elles peuvent se tenir le samedi ou le dimanche, sous la forme d’un pique nique, par exemple, pour poursuivre les discussions sur un mode plus convivial et décontracté.

4.- Organiser des débats contradictoires

Au début de la campagne, nous avions recommandé de ne pas organiser de débats contradictoires. Cette orientation était juste car il s’agissait d’asseoir les arguments en faveur du « non ». Aujourd’hui, en fonction de l’évolution de la campagne, nous devrions pouvoir organiser des débats contradictoires, à condition, bien entendu, de trouver des partisans du « oui » qui acceptent !

De la même manière, nous pourrions organiser des rencontres, de format réduit, dont l’objet ne serait pas de réunir des partisans du « non », mais qui pourraient avoir l’intitulé générique suivant : « Pour ou contre la Constitution européenne ? Venez en débattre avec Attac ».

L’objectif, dans les deux cas, serait de faire venir des personnes indécises, abstentionnistes ou « sans préférence partisane ».

Pour conclure, cette fin de campagne sera scandée par quelques dates pivot :

 le 30 avril à la porte de Versailles ;

 les 21 et 22 mai ;

 le vendredi 27 mai où les grands meetings devront se concentrer ;

 dans les bureaux de vote le jour du scrutin pour tenir les bureaux et participer au dépouillement.

 et peut-être la fête le 29 mai au soirŠ

Lors de cette campagne l’UMP déclare réaliser 200 adhésions par jour. A nous de faire mieux ! C’est à la réalisation d’un véritable plan de campagne, jour par jour, auquel sont appelé les Comités locaux. La victoire est à ce prix !

ANNEXE

10 pistes sur lesquelles débattre

1) Refonte des statuts de la Banque centrale européenne.

L’objectif de la politique monétaire ne doit plus être simplement la « stabilité des prix » mais le plein-emploi et la maîtrise du taux de change de l’euro. La zone euro comprend 300 millions d’habitants, sans la Grande-Bretagne, soit 12 pays sur 25. L’eurogroupe devrait se réunir rapidement et engager la réforme de la politique monétaire. L’arrêt de la concurrence fiscale pourrait passer par l’eurogroupe pour contourner le veto britannique, comme, dans un premier temps, la mise en place de taxes internationales.

2) Abandon du Pacte de stabilité.

Déjà transgressé par Paris et Berlin, ce pacte et les critères de Maastricht étouffe les économies et empêche toute relance. Il doit disparaître.

3) Relance économique.

Elle doit passer par des investissements publics massifs auxquels devra contribuer la Banque centrale européenne (ferroutage, environnement, infrastructures publiquesŠ) au moyen d’emprunts obligataires européens garantis par les Etats.

4) Harmonisation sociale par le haut.

La Charte des droits fondamentaux doit être reconstruite pour offrir de véritables protections juridiques aux travailleurs et à tous les citoyens. Les conceptions régressives concernant les retraites et l’assurance maladie doivent être mises à la poubelle.

5) Reconnaissance des services publics.

Ces derniers doivent aussi pouvoir coopérer à l’échelle européenne, ce qui est aujourd’hui interdit au motif de la distorsion de concurrence.

6) Mise en place d’une politique industrielle.

Rappelons le titre du Monde du 20 septembre 2003 : « Le sauvetage d’Alstom provoque une nouvelle crise européenne ». La Commission, en effet, avait interdit toute aide de l’Etat pour « distorsion de concurrence ». Airbus et Ariane sont pourtant des exemples à suivre. Au lieu d’encourager les délocalisations, cette politique industrielle devrait embrasser l’ensemble du continent.

7) Défense de la laïcité.

8) Retrait de l’OTAN.

9) Développement de la coopération internationale.

L’Union doit fortement s’impliquer pour atteindre les objectifs du millénaire. L’annulation de la dette des pays pauvres doit être planifiée. L’aide publique au développement doit être augmentée.

Un partenariat nouveau doit être noué avec le Maghreb et le Proche-Orient.

Des relations de confiance doivent être établies avec les grandes puissances en devenir : Russie, Inde, Chine, Japon, Brésil.

10) Lutte pour l’environnement.

Assez du saupoudrage, et mise en place d’une véritable politique ambitieuse de l’environnement. Respect des accords de Kyoto

http://www.france.attac.org/a4755