Edito de Bernard Cassen : "Si les Allemands avaient la parole..."

(Paris) - Ce jeudi 12 mai, le Bundestag doit ratifier le « traité établissant une Constitution pour l’Europe ». La date n’a pas été choisie au hasard : arrêtée par le chancelier Gerhard Schröder en concertation avec Jacques Chirac, elle vise à créer un effet d’entraînement, à faire pression sur les électeurs français auxquels les médias et les dirigeants du camp du « oui » vont immédiatement marteler que, s’ils disent « non », l’amitié franco-allemande n’y survivra pas, que les deux pays vont désormais suivre des trajectoires divergentes, etc.

Les commentateurs ne vont pas manquer de prétendre que le vote quasi unanime des députés d’outre-Rhin est l’expression d’un consensus national sur la « Constitution ». Il n’en est rien. A l’automne dernier, les Verts et les sociaux-démocrates du SPD, qui constituent la coalition gouvernementale, avaient envisagé de réformer la Loi fondamentale pour permettre la tenue d’un référendum. Ils y ont vite renoncé car ils craignaient un résultat négatif, et ils avaient parfaitement raison : dans des propos rapportés par L’Express du 18 avril (page 29), la ministre de la justice allemande, Brigitte Zypries, expliquait que « si un référendum , et non une ratification parlementaire , était organisé en Allemagne, le « oui » serait laminé ».

Mais les Allemands n’auront pas eu la parole. On saura pas que l’ancien ministre SPD des finances, OsKar Lafontaine, s’est prononcé pour le « non » ; que de très nombreux intellectuels ont signé une pétition dans le même sens ; qu’Attac Allemagne a organisé une souscription nationale pour aider Attac France dans sa campagne ; que des militants d’Attac venus de Hambourg, de Berlin, de Francfort, etc., participent activement, aux côtés d’autres « Volontaires européens » d’une dizaine de pays, aux activités de leurs camarades français (meetings, distribution de tracts, collages...). Peter Wahl, animateur d’une ONG environnementale, WEED, et co-fondateur d’Attac Allemagne, a exprimé leur sentiment sans un appel publié par Les Dernières Nouvelles d’Alsace : « Puisque nous n’avons pas le droit de voter sur cette Constitution chez nous, nous demandons au Français d’exprimer leur« non » également au nom de leur cousins d’outre Rhin. Aidez nous : votez « non ». C’est aussi cela l’amitié franco-allemande !

Bernard Cassen

Titulaire d’une chaire européenne Jean-Monnet de sciences politiques, Bernard Cassen est professeur émérite à l’Institut d’études européennes de l’université Paris 8. Il est par ailleurs journaliste et directeur général du "Monde diplomatique" et Président d’honneur d’Attac. Chaque jour, il propose sur Yahoo Actualités des analyses critiques sur le traité établissant une Constitution sur l’Europe et sur le débat qu’elle provoque en France et dans le reste de l’Europe.