Les populations des banlieues pauvres sont victimes d’une triple ségrégation : géographique, sociale et ethnique - par Denis Chagnolleau (déc. 2005) Les banlieues ont une histoire.

En ville, jusqu’au 19è siècle, la ségrégation était plus horizontale que verticale : les milieux populaires habitaient les derniers étages des immeubles, les catégories aisées logaient dans les appartements spacieux à mi-hauteur. Les différentes catégories sociales coexistaient dans les centres-villes : les petits artisans, commerçants, ouvriers, dockers, apprentis, domestiques, employés, lavandières... y croisaient les riches bourgeois et les aristocrates ... La ville était de taille humaine et il existait une vie de quartier avec des solidarités de voisinage. Sur Paris cette situation a perduré jusque dans les années 1950.

La Révolution industrielle du 19è siècle a changé la donne : le développement industriel a concentré les ouvriers, issus de l’exode rural, dans les zones à la périphérie des centres urbains anciens et dans des villes nouvelles à proximité des nouveaux lieux de production. Progressivement une ségrégation géographique s’est mise en place, les milieux populaires ont été exclus des centres-villes à cause de la hausse des loyers liée à une demande croissante de logement avec l’afflux des populations rurales. Les réhabilitations successsives ont été l’occasion d’augmenter les loyers et de chasser les mileux populaires toujours plus loin en périphérie : à Paris le phénomène a débuté avec les travaux d’Haussman sous le 2nd Empire, il continue encore.

Aujourd’hui ce sont les classes moyennes qui sont les victimes de la loi du marché : par exemple, elles font les frais des ventes à la découpe sur Paris. Elles sont contraintes de rechercher des logements au -delà de la banlieue parisienne, dans les régions limitrophes de l’Ile-de-France, mais travailent toujours sur l’agglomération parisienne. A terme, les centres-villes européens ne seront plus que des musées accueillant les plus riches, les commerces de luxes et les loisirs haut de gamme ; c’est déjà le cas à Londres où ne vivent plus que les millionnaires.

Ségrégation ethnique et organisation urbaine

Le chômage de masse a fait le reste, or celui-ci touche en priorité la population des ghettos : les jeunes et les Français d’origine étrangère victimes d’une discrimination à l’embauche.
L’économie souterraine s’est développé comme paliatif au manque de revenus et permet à des familles entières de subsister sans s’enrichir (lire l’article du canard enchaîné du 9 novembre, à ce sujet, selon un rapport des RG).

La crise des banlieues n’est pas seulement la crise du libéralisme, c’est aussi la crise du mode de développement capitaliste qui a débuté il y a 200 ans : en concentrant toujours plus le capital et les outils de production dans des lieux géographiques précis, il y concentre aussi la main-d’oeuvre et leurs familles dans des unités urbaines toujours plus gigantesques, déshumanisées et ingérables. Si on considère que la Décroissance est une solution à cette crise, alors il faudra revenir à des entités urbaines plus petites, seules capables de tisser du lien social, d’exercer la démocratie, de répondre aux besoins des individus par la production de biens et services de proximité.

A la ségrégation géographique s’ajoute la ségrégation sémantique, pour parler de ces zones urbaines ont utilise les termes de banlieues, de cités, de quartiers, jamais de villes : or, statistiquement ce sont des villes (plus de 2000 habitants agglomérés au chef-lieu en France) et juridiquement aussi (elles ont des conseils municipaux et des maires). C’est peut-être aussi par hypocrisie que les français n’utilisent pas le terme de ghettos ?! Car ce terme est un écho à l’échec de la politique de la ville.

Le malaise de l’idéal Républicain

De même pour parler des Français d’origines étrangères on utilise les termes de "beurs", arabes maghrébins, musulmans, noirs, "blacks", mais jamais de minorités ! Car il s’agit bien de minorités par rapport à la majorité blanche, européenne et d’origine chrétienne. L’idéal républicain voudrait que l’on parle de citoyens français. Mais le malaise est là, car les jeunes des ghettos sont les enfants de l’ancien empire colonial français et ils traînent avec eux l’image de l’indigène à civiliser : les hommes politiques et les médias prétendent qu’il y a échec de "l’intégration". Hors les jeunes d’origines étrangères sont intégrés : ils parlent français, s’habillent comme les jeunes de leur âge, le taux de mariage mixte des jeunes musulmanes en France est le plus élevé d’Europe (alors que le pays possède la plus forte communauté musulmane européenne), même s’ils croient en dieu, ils ne fréquentent pas plus les lieux de cultes que les jeunes dits "chrétiens"....En réalité, le problème vient de la discrimination à l’embauche dont sont victimes ces jeunes : les patrons veulent bien les embaucher pour des emplois précaires comme vigiles, employés dans la restauration rapide, maçons, mais pas pour les emplois qualifiés comme techniciens, ingénieurs ou cadres, quand ils en ont la compétences. Ils traînent avec eux l’image de peuples non civilisés qu’avaient leurs grands-parents.

Cette image légitime tous les mépris possibles : lorsque Sarkozy parle de nettoyer les banlieues au karcher et traite les jeunes de racailles (débris de la société), il n’utilise pas ces termes à l’égard des élus d’Ile-de-France condamnés pour avoir racketé des entreprises qui cherchaient à obtenir des marchés publics : il aurait pu dire qu’il fallait nettoyer au karcher les partis politiques de la racaille qui les peuplait. Les élites corrompues auraient-elles droit à plus d’égard sémantique ? En tout cas, elles ont le droit aux égards de la Justice, aucun de ces élus voyous n’a été condamné à des peines de prison ferme, contrairement aux voleurs de mobylettes.

Un dernier point sur lequel je voudrai insister, à côté de la tentative sécuritaire du gouvernement, il existe un vision communautariste qui pourrait tenter les libéraux : pour eux le repli communautaire est le moyen de pallier aux insuffisances de l’Etat dans le domaine social, par exemple en faisant des imams les interlocuteurs légitimes d’une prétendue communauté musulmane.

Denis Chagnolleau, Attac 45