Les centres de rétention : un outil central de la gestion de l’immigration, par Alain Jouniaux (automne 2007) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°43 (automne 2007)

La rétention administrative : un peu d’histoire...

Lorsqu’un étranger en situation irrégulière est confronté à un contrôle de police, l’administration peut décider de le renvoyer dans le pays dont il a la nationalité ou dans un autre pays qui voudra bien l’accueillir. Dans ce cas, le Préfet prend contre lui un Arrêté de Reconduite à la Frontière (APRF) ou, si l’on estime qu’il y a trouble à l’ordre public, un Arrêté d’Expulsion. Mais la mise en œuvre de la reconduite demande un certain temps : il faut organiser matériellement le départ qui se fait généralement par avion et obtenir, si l’étranger n’est pas en possession d’un passeport, un laissez-passer du consulat du pays de destination.

Jusqu’en 1980, la loi ne permettait pas d’exécuter par la force une mesure d’éloignement. Ce sont les lois Bonnet et Peyrefitte qui vont transformer la réglementation pour permettre d’une part l’exécution de cette mesure, et d’autre part la privation de liberté de l’étranger sur décision administrative. C’est ce qu’on appelle la rétention administrative, dont le but est donc de garder l’étranger à disposition pendant que l’on organise pratiquement son départ.

Généralisée avec la loi d’octobre 1981, la rétention administrative se développe réellement deux ans plus tard. Le contexte politique subit alors une inflexion sensible. Après la période de régularisation exceptionnelle de 1981-1982, le ton se durcit et, à la fin de l’été 83, le Gouvernement Mauroy annonce une série de mesures partagées en deux volets : l’un visant « l’insertion des étrangers », l’autre ayant pour objectif de combattre « l’immigration irrégulière ».

Cet effet d’annonce a des conséquences immédiates. Dès l’automne, les opérations de contrôle se multiplient. Les interpellations d’étrangers en situation irrégulière deviennent la règle. Les prisons se remplissent d’étrangers condamnés pour ce seul motif. Beaucoup sont finalement entassés dans des locaux administratifs, principalement des commissariats, non prévus à cet effet. Et de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer situation. C’est pour essayer de faire face à cet imbroglio que le Gouvernement décide, début 1984, la création de centres dits de rétention dans les principales villes du pays : Lyon, Nice, Bayonne, Paris, Lille, Strasbourg, Sète, Perpignan, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Clermont-Ferrand.

Le nombre des centres de rétention et leur capacité d’accueil n’ont cessé de croître. Il sont actuellement 25 sur le territoire métropolitain et dans les Départements d’Outre-Mer. Le plus important est celui du Mesnil-Amelot (près de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle) avec près de 200 places. Ceux de Guyane et de Mayotte sont particulièrement actifs. D’année en année, il apparaît cependant qu’un nombre important d’étrangers reconduits (globalement 1 sur 2) ne passent par ces centres dits « officiels », n’importe quel local ne dépendant pas de l’administration pénitentiaire pouvant faire office de lieu de rétention. C’est ainsi que les cellules de garde à vue des commissariats et des gendarmeries sont fréquemment utilisées, sans d’ailleurs que soient prévus les frais de restauration et d’hygiène élémentaire.

En 1997, le ministre de l’Intérieur demande un rapport sur la rétention à l’Inspection Générale de l’Administration. Les conclusions de ce rapport proposent une refonte de l’ensemble du dispositif, cela aboutira à la publication du décret du 19 mars 2001. Loin d’être parfait, ce décret apporte toutefois un cadre et des normes générales à la rétention : il distingue les Centres de Rétention Administrative (CRA) à vocation nationale et les Locaux de Rétention ne servant a priori que de lieux de transit. Un arrêté ministériel fixe la liste des CRA tandis que les préfectures sont responsables de l’ouverture des locaux de rétention. Le nombre de ces derniers est difficile à évaluer. En tout cas plus d’une centaine.

L’intervention de la Cimade dans les centres de rétention

Dès l’ouverture des premiers centres en 1984, l’Etat recherche un partenaire associatif pour y mettre en œuvre une « mission d’accompagnement social ». C’est ainsi que la Cimade va être sollicitée. Ce mouvement d’origine protestante fondé en 1939 s’était manifesté pendant l’Occupation allemande par une présence dans les camps d’internement institués par le régime de Vichy dans le sud de la France. Après la guerre, son activité s’était développée autour de l’accueil des réfugiés. Il y avait donc une certaine cohérence dans ce nouveau rôle qui lui était proposé. Mais les débats internes furent vifs entre ceux qui dénonçaient la collaboration avec une politique d’exclusion et ceux qui prônaient une attitude plus pragmatique. La Cimade a finalement accepté cette mission, estimant qu’une présence et un regard extérieurs étaient toujours préférables au silence et au secret des geôles inaccessibles.

Une convention fut donc signée entre la Cimade et le ministère des Affaires sociales. La mission confiée à l’association visait à ce que « les étrangers condamnés à la reconduite à la frontière (…) le soient dans des conditions qui respectent leur dignité ». Elle consistait à « visiter les étrangers pour leur donner toutes informations et toute aide utile », à « assurer les liens avec l’extérieur » et à « alerter les services publics sur les conditions dans lesquelles sont retenus les étrangers et formuler des propositions tendant à leur amélioration ». L’ensemble de la mission en rétention est jusqu’à ce jour entièrement financé par des fonds publics. Cet état de fait n’est pas sans poser des questions à la fois sur la réelle indépendance de l’association et, du fait du développement des centres, sur le déséquilibre de ses moyens humains au profit des personnels travaillant en rétention et aux dépens d’autres secteurs comme l’accueil des demandeurs d’asile ou les solidarités internationales.

Au quotidien, l’action des membres de la Cimade est très variée. Elle consiste d’abord et avant tout à s’entretenir avec les étrangers retenus afin de les aider à comprendre les procédures complexes du placement en rétention et de l’éloignement du territoire, à établir un bilan et un diagnostic de leur situation individuelle. Sur la base de cette compréhension réciproque, l’intéressé décide ensuite des démarches qu’il souhaite entreprendre : recours devant le Tribunal Administratif pour contester la mesure d’éloignement, appel de l’ordonnance du Juge des libertés et de la détention ayant autorisé la prolongation de son maintien en rétention, demande d’asile en urgence, etc. Les procédures en question étant rapides, l’ensemble de ces démarches doit évidemment être effectué dans les délais les plus brefs.

Cet aspect « aide à l’exercice des droits » n’est cependant qu’une facette du rôle de la Cimade. D’autres fonctions tout aussi essentielles sont de fait assumées : la présence humaine et morale – l’écoute – auprès des personnes retenues est cruciale alors qu’elle vivent une situation de stress, parfois de rupture et d’angoisse ; l’accompagnement social, bien que limité, a également toute son importance, afin que les que les étrangers renvoyés le soient après avoir récupéré leurs affaires, prévenu familles et amis, perçu leurs salaires, vidé leur compte, etc. Enfin, seul organisme extérieur et libre de parole, la Cimade a également la responsabilité morale de témoigner sur ces lieux de privation de liberté, d’interpeller les pouvoirs publics sur les manquements constatés aux droits et à la dignité des personnes, et de proposer, devant l’administration comme devant le législateur, les modifications souhaitables. Cette prise de parole se manifeste par des interventions régulières dans la presse, mais aussi par la publication et la diffusion d’un rapport annuel sur les centres de rétention.

Ces dernières années, la Cimade s’est élevée contre la prolongation de la durée maximale de rétention qui est maintenant de 32 jours, démontrant par ailleurs l’inefficacité de cette mesure. Ce fut aussi la dénonciation de plusieurs dérives inquiétantes : l’augmentation de la capacité des centres et la présence fréquente de personnes fragiles comme les enfants, les vieillards, les personnes malades… Bavures et erreurs ne sont pas rares. Ainsi des étrangers en situation régulière et même des ressortissants français se sont retrouvés en rétention.

La rétention dans le Loiret : Le centre de Cercottes

L’absence de Centre de rétention en Région Centre nécessite le transfert des personnes faisant l’objet d’une mesure d’éloignement vers d’autres lieux, généralement Paris (Vincennes), Plaisir ou Le Mesnil-Amelot. Mais ce transfert n’est pas forcément immédiat et la rétention se fait alors dans des structures locales. Jusqu’en 2003 c’étaient, pour le Loiret, des cellules de garde à vue des commissariats d’Orléans et de Montargis qui remplissaient cet office. D’autres lieux existaient sans doute, mais le flou de la réglementation ne permettait pas de les identifier clairement. Pour ce qui était des visites d’associations, et si l’on prend l’exemple de l’Hôtel de Police d’Orléans, on était passé d’une ouverture relative pour la Cimade et l’ASTI au début des années 90 à une fermeture presque totale par la suite. Ne pouvaient alors être visités que les retenus qui en faisaient expressément la demande, autant dire très peu. Et la plupart étaient transférés sans que leur situation ait été connue.

Plusieurs décrets après 2001 vont donner une existence légale aux Locaux de Rétention Administrative (LRA) ouverts dans des lieux spécifiques. C’est ainsi qu’André Viau, Préfet du Loiret, décide la création d’un LRA dans les locaux de l’ancienne gendarmerie de Cercottes au nord d’Orléans. Celui-ci, d’une capacité de sept places et réservé aux hommes seuls, est inauguré en février 2005. La présence d’une association ayant pour objet la défense des droits des étrangers étant désormais admise, le groupe Cimade d’Orléans demande alors au préfet de pouvoir intervenir régulièrement auprès des personnes retenues.

Les négociations vont être longues : une convention doit être signée entre la préfecture et la Cimade et le préfet doit habiliter individuellement les visiteurs. Le différend va porter essentiellement sur le nombre d’habilitations : la Cimade propose huit personnes, le préfet n’en veut que quatre et c’est lui qui les choisit, rejetant semble-t-il les individus trop marqués politiquement. Bref, le nouveau préfet, Jean-Michel Bérard, acceptera l’habilitation de cinq personnes. L’usage montre que ce nombre est nettement insuffisant quand il s’agit de bénévoles ayant des activités professionnelles par ailleurs. Sachant que la présence dans un local de rétention ne doit pas dépasser 48 heures – délai également pour introduire un recours devant le Tribunal Administratif – il faut pour être sûr de rencontrer tous les retenus prévoir une visite tous les deux jours. Si l’on tient compte des éventuelles indisponibilités et des périodes de vacances on voit bien l’inconvénient d’une équipe aussi réduite.

En attendant l’habilitation, les membres de la Cimade interviennent en tant que simples citoyens puisque le droit de visite est autorisé si l’on connaît l’identité de la personne retenue. Pour cela, il suffit de téléphoner à la cabine qui se trouve à l’intérieur du local. C’est une situation hybride et quelque peu hypocrite, puisque les gendarmes qui encadrent les retenus savent très bien qui sont ces visiteurs réguliers. Finalement les cinq habilitations sont officialisées en janvier 2007 et depuis le système fonctionne de façon relativement correcte. Les relations avec les gendarmes sont plutôt bonnes, l’accès aux dossiers généralement facilité.

Les arrestations se succèdent et le local est rarement vide. Ce sont des contrôles sur certaines lignes de transports en commun, celles qui aboutissent à des lieux de travail saisonnier, qui alimentent principalement la rétention. Les personnes retenues ne restent pas plus de 48 heures au local, mais c’est une période cruciale pour ce qui concerne les démarches et les voies de recours. Et les contacts avec les avocats sont essentiels. Ensuite, c’est le transfert vers un centre ou la libération, ou bien encore dans de rares cas une assignation à résidence.

On voit bien que la multiplication des centres et locaux de rétention est le reflet d’une politique de l’immigration axée essentiellement sur la reconduite à la frontière avec l’obsession, pour les préfet, de faire du chiffre, et le Loiret n’est pas sur ce point le mauvais élève de la classe. La rétention est une privation de liberté pour des personnes dont le seul délit est un défaut de titre de séjour : on peut exiger sa suppression, mais il ne faut pas oublier que le délai qu’elle procure peut être mis à profit pour rectifier une situation qui paraissait compromise. Ce qu’il faut en tout cas défendre, c’est la présence associative au sein des lieux de rétention, seul moyen d’en contrôler le fonctionnement et d’empêcher les dérives.

Alain Jouniaux, CIMADE du Loiret.