Désobéissance civile et fauchage anti-OGM, par Sabine Gautier (févr. 2005) Extrait de la Lettre d’attac 45 n°29, février-mars 2005

Désobéir … A qui, pourquoi, comment ?

En associant la désobéissance et la « civilité », on se place d’emblée sur le champ de la chose publique ; on ne désobéit pas « pour soi » ; on ne défend pas un intérêt personnel à court terme, mais une conviction, étayée par une réflexion. En aucun cas, la désobéissance civile n’est le fruit d’un mouvement d’humeur, mais possède bien une dimension qui réconcilie exigence spirituelle, morale, éthique, ET réalisme politique.

L’idée n’est pas tout à fait neuve. Henry-David Thoreau en a fait l’objet d’une publication en 1849. Il inspirera ensuite Gandhi et Martin Luther King. Délibérément, Thoreau a refusé de payer une taxe destinée à financer la guerre contre le Mexique et s’est retrouvé en prison : « Sous un gouvernement qui emprisonne quiconque injustement, la véritable place d’un homme juste est en prison », écrira-t-il. « Il existe des lois injustes : consentirons-nous à leur obéir ? [...] Si la machine gouvernementale veut faire de vous l’instrument de l’injustice envers votre prochain, alors je vous le dis : enfreignez la loi ».

Plus proche de nous dans le temps, Gandhi, pour avoir mené campagne à de nombreuses reprises contre l’occupation de l’Inde par les Anglais, a été très souvent emprisonné. Car « l’obéissance à la loi engage la responsabilité du citoyen » et « mon devoir est de retirer mon soutien à ce gouvernement non par punition, non par vengeance, mais pour ne pas devenir responsable du mal qu’il fait ».

Martin Luther King, dans sa lutte pour les droits civiques, a appliqué ce raisonnement. Puisque la loi est injuste, il faut la changer. Il n’a évidemment pas suffi de demander poliment aux compagnies de bus de changer leur règlement pour permettre un accès égal aux transports en commun à toutes les personnes quelque soit leur race. Il a fallu les y contraindre par des actions de masse, s’appuyant sur des principes reconnus par l’ensemble de la société (refus de la violence, exercice de la dignité personnelle et collective) pour inverser un rapport de force et contraindre les compagnies, puis les Etats, puis l’Etat fédéral, à reconnaître des droits égaux à tous.

Au niveau de l’opinion publique, l’action s’est appuyée sur des valeurs morales universellement acceptées. Au niveau des décideurs, l’action a touché ce qui était important aux yeux des compagnies : la rentabilité de leur entreprise qui ne pouvait se passer de la clientèle de millions de Noirs américains. Au niveau des politiques, l’appel à l’opinion publique a permis de toucher un point sensible : la capacité à être réélu.

Même chose lorsque César Chavez, pour gagner des conditions de travail décentes pour les ouvriers agricoles travaillant dans le sud des Etats-Unis, utilise les stratégies de l’action non-violente et touche les propriétaires au « cœur » …c’est à dire au portefeuille, tout en se gagnant l’opinion publique, car qui peut se dire contre la justice ?

Plus près de nous encore, dans l’espace et dans le temps, on peut faire référence aux trois renvoyeurs orléanais de livrets militaires jugés en janvier 1969 ; on peut également penser aux paysans du Larzac dans leur lutte contre l’extension du camp militaire, au refus redistribution 3% de l’impôt, aux « Démo », qui organisent des actions non-violentes en faveur de la langue et la culture basques, et enfin aux faucheurs volontaires d’OGM …

Qu’est-ce qui caractérise une action de désobéissance civile ?

 le principe de non coopération(ou de non collaboration) : chacun à sa place donne du pouvoir à son « adversaire », que ce soit en collaborant directement et activement avec lui, en se soumettant à ses règles ou par simple passivité. La non coopération vise à tarir la source du pouvoir de l’ « adversaire » et à établir un nouveau rapport de force qui permettra au droit (à la justice) d’être établi. « Contraindre l’adversaire par le refus délibéré de remplir une fonction dont l’exécution est essentielle au maintien de sa position ».
 l’affirmation que la fin et les moyens sont liés ; à employer la violence (physique, verbale, symbolique), on utilise des moyens qui ont fait leurs preuves pour aboutir aux situations d’injustice que l’on prétend combattre.
 la différenciation entre « légalité » et « légitimité ».Il ne s’agit pas d’enfreindre la loi par principe, car la loi peut (doit) être garante des droits et libertés individuels et collectifs. Mais c’est la légitimité (la justice) qui doit fonder la loi et la rendre respectable.
 l’épuisement des moyens légaux avant d’entrer en désobéissance civile. Une stratégie de désobéissance civile peut avoir pour objectif de changer la loi, elle peut aussi faire pression pour demander l’application d’une loi existante
 L’acceptation des risques encourus. Gandhi jugeait indispensable voire nécessaire d’aller en prison pour faire avancer ses idées, Martin Luther King a lui aussi connu l’incarcération, et d’autres aussi plus proches de nous. Cependant, il s’agit plutôt d’être prêt à assumer les risques (procès, prison, calomnie, perte d’emploi…) que de chercher à tout prix l’issue extrême. Si l’on combat une loi parce qu’elle est injuste, alors les sanctions prévues pour les personnes enfreignant cette loi sont elles aussi injustes. En fait, le critère de détermination doit être plus politique que moral : quelle est l’attitude qui donnera à l’action sa plus grande efficacité ? Une forte amende, un emprisonnement anonyme font-il avancer les choses ? Un procès à fort retentissement médiatique, qui permet de faire connaître une situation d’injustice, qui ouvre un débat, qui porte à la connaissance du grand public des faits et des arguments, qui cherche à étendre les sympathies, même s’il n’est pas suivi d’emprisonnement, a certainement une grande portée pour faire changer la loi ou un état de fait.
 Un programme constructif : proposition de moyens d’action non-violente pour résoudre le conflit, médiation et solutions, proposition de type de société, de rapport de forces alternatif.

S’opposer à l’introduction des OGM dans notre environnement par un fauchage collectif est-il un acte de désobéissance civile ?

Examinons les critères énoncés ci-dessus un par un :

 principe de non collaboration : dire haut et fort que nous n’acceptons pas les manipulations au mépris du risque sanitaire, refuser d’acheter des aliments comportant des produits OGM, après avoir fait du lobbying pour que les étiquettes mentionnent l’existence de tels produits, faire pression auprès des élus pour qu’à leur niveau de compétences ils interdisent de telles productions (application de notre pouvoir de citoyen, électeur et consommateur)
 choix des moyens : rencontres, courriers, actions publiques non-violentes, les moyens sont proportionnels aux objectifs (les faux sont adaptées au fauchage des OGM, pas besoin de voler des caterpillar sur un chantier en commettant un délit inutile et préjudiciable à la sympathie que doit entraîner une action de désobéissance civile !)
 utilisation de la légalité (principe de précaution sanitaire, pouvoir du citoyen à demander des comptes aux élus, utilisation des lois existantes …) : affirmation de la légitimité de l’action engagée au nom de principes supérieurs tels que le droit à la santé et à un choix de société qui refuse la productivité à tout crin au seul profit des multinationales, se basant sur le respect de l’environnement et du vivant. Or, les OGM disséminent « tout seuls » et ne respectent donc pas le droit au choix alimentaire et de société.
 Acceptation, voire utilisation des risques encourus : en acceptant de se rendre aux convocations de la gendarmerie et du tribunal, en se « dénonçant » soi-même auprès des autorités pour avoir participé à un fauchage anti-OGM, le militant assume l’action et ne peut apparaître aux yeux de l’opinion publique (essentielle dans ce type de lutte) comme un asocial irresponsable. Il diffuse ses idées dans l’opinion publique quand il utilise un procès comme tribune.

Actuellement, les actions connues de fauchage anti-OGM m’apparaissent bien dans la tradition de la désobéissance civile et de l’action non-violente telle qu’elle a porté ses fruits dans de nombreuses luttes. Elles ne peuvent cependant avoir de sens et de portée réels que si elles s’inscrivent dans une réflexion plus large sur le type de société que nous voulons, sans jamais oublier que les fins sont tributaires des moyens employés.

Sabine Gautier,
Pour le Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN) - Orléans

Petite bibliographie :
 Jean-Marie MULLER, Stratégie de l’action non-violente, Points Politique N°109, 1981
 Saul ALINSKY, Manuel de l’animateur social, une action directe non-violente, Points Politique N°93, 1971

Sites utiles :
 www.manco.free.fr
 www.irnc.org