OGM médicaments : mensonges, dangers, inconscience - par Christian Velot et Lilian Ceballos (avril 2006) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°36, avril-mai 2006

Les recherches de nouveaux médicaments justifient-elles les expérimentations de plantes OGM en plein champ ? En mars 2005, les deux spécialistes Christian Velot (chercheur en biologie moléculaire) et Lilian Ceballos (pharmacien, écologue) rendaient chacun un rapport commandé par le Conseil régional d’Auvergne sur un projet de culture en plein champ d’un maïs transgénique produisant la lipase gastrique de chien destinée à soulager les enfants atteints de mucoviscidose. Avis : négatif !

Passages de ces deux importants documents.

%%%%%%%%%%%%%%%%

conclusion du rapport de Lilian Ceballos

La présentation des essais faite par Meristem® Therapeutics comme l’avis de la Commission du Génie Biomoléculaire n’apportent en réalité aucune information qui permettent d’évaluer la rigueur des expérimentations et la cohérence des protocoles employés. Aucune précision n’est apportée sur la construction génétique ni même sur l’herbicide auquel le maïs est tolérant. Derrière un discours pseudo-scientifique, ces lacunes soulignent à quel point il n’est pas question de science ici : les travaux scientifiques sont accessibles à n’importe quel membre de la communauté scientifique et sont évalués par des pairs. Rien de semblable ici. Le moins que l’on puisse dire est que la Commission du Génie Biomoléculaire n’est pas très critique envers les données floues présentées par Meristem® Therapeutics, et ceci est d’autant plus grave qu’aux critères scientifiques se superposent des critères particuliers à votre région, à savoir la production de semences paysannes ou autres activités qui pourraient souffrir de la présence d’essais OGM thérapeutiques en milieu ouvert.

En tant que pharmacien, je ne comprends pas que l’on puisse présenter les OGM thérapeutiques comme la seule méthode de production de molécules actives : depuis les années 1970, ces molécules sont produites par des bactéries en fermenteurs avec un risque infiniment moins grand de contamination de la chaîne alimentaire. Comment Meristem® Therapeutics peut-il présenter une méthode non maîtrisée (les OGM thérapeutiques) comme offrant une biosécurité maximale ? Veulent-ils nous faire croire que le risque serait plus grand en milieu confiné ? Dans ce cas, pourquoi construire des laboratoires sécurisés comme le font tous les états modernes ? De plus, quelle que soit la détresse des patients atteints de mucoviscidose, faut-il rappeler aux philanthropes de Meristem® Therapeutics et de la Commission du Génie Biomoléculaire que chaque année, trois millions d’enfants meurent dans le monde du paludisme ? Au nom de quoi considère-t-on qu’une maladie qui affecte 70000 personnes dans le monde est l’urgence thérapeutique numéro un ?

Ces essais thérapeutiques d’OGM en milieu ouvert sont contestés unanimement par la communauté scientifique : outre la critique effectuée par Nature Biotechnology (11), la société d’écologie américaine (19) a mis en garde le gouvernement sur « l’insuffisance dramatique » de l’évaluation des risques OGM aux Etats-Unis. Dans un document sur le confinement biologique des OGM, le Conseil National de la Recherche américain surenchérit : « Aujourd’hui , il est impossible d’empêcher le flux génique entre espèces sexuellement compatibles qui habitent la même région, parce que le pollen et les graines se dispersent trop facilement et trop loin, pour rendre un confinement reproductif complet praticable ». La résistance contre les OGM thérapeutiques est telle aux Etats-Unis que les firmes engagées dans ce domaine se replient sur l’Afrique pour cultiver ces OGM. Or, les OGM de première génération sont abondamment cultivés aux Etats-Unis, ce qui n’a jamais provoqué pareille résistance.

Dans une démocratie, le choix des politiques mises en œuvre en matière de santé et d’environnement devrait donner lieu à un débat où des opinions contradictoires pourraient se confronter afin de permettre à chaque citoyen d’être informé de ce que recouvre les décisions prises en son nom. Hélas, les organismes d’évaluation, en niant l’existence même d’un débat scientifique, empêchent les citoyens d’être informé des questions de santé ou de science. Pourtant, de nombreuses critiques sur le comportement de l’Agence du Médicament dans les affaires Viox ou Statine de Bayer s’élèvent et montrent l’indigence de l’évaluation par des experts dont beaucoup entretiennent des liens avec les firmes dont ils évaluent les études. Face aux insuffisances des éléments d’information présentés et face aux risques incontrôlables et prouvés d’une culture d’OGM thérapeutiques en milieu ouvert, la raison scientifique incite à la prudence et rappelle aux philanthropes des biotechnologies qu’un principe majeur de la médecine remontant à Hippocrate s’énonce en latin « primum non nocere », ce qui signifie « d’abord ne pas nuire ».

Fait à Montpellier le 18 février 2005
Lilian Ceballos

%%%

Rapport de Christian Velot (extraits)

La société Meristem Therapeutics a fabriqué un maïs transgénique produisant une lipase gastrique de chien destinée à soulager les désordres digestifs des enfants atteints de mucoviscidose. L’utilisation de la transgenèse pour la production d’une telle enzyme, même s’il ne s’agit là que d’un traitement de soulagement et non d’un traitement curatif, offre beaucoup d’espoir pour ces enfants et leur famille, et peut, de ce fait, être considérée comme une réponse à une attente de la société.

Ce rapport s’articule en deux grandes parties : la première concernant les alternatives, et la seconde concernant les risques de dissémination.

A. Alternatives

(...) le taux de production de lipase par pied de maïs est ridicule, et donc le coût de purification de cette enzyme sera extrêmement élevé (il faudra purifier une protéine peu abondante à partir du mélange protéique très riche d’un organisme pluricellulaire complexe qu’est le maïs). En revanche, il est extrêmement facile de faire produire à une bactérie ou à la levure de boulangerie (organismes unicellulaires) des quantités très abondantes de cette lipase. Le coût des éventuelles modifications post-traductionnelles in vitro nécessaires serait alors largement compensé par l’économie faite sur la purification qui serait alors extrêmement simplifiée et conduirait à de très hauts rendements.

(...) Quand bien même le végétal constituerait, d’un point de vue tant biotechnologique qu’économique, le moyen idéal pour produire une protéine d’intérêt pharmaceutique, défiant toute concurrence de la part des microorganismes et autres systèmes cellulaires utilisés jusqu’alors en laboratoire, l’utilisation de la plante entière ne se justifie absolument pas pour autant. Il est tout à fait possible, à partir d’un morceau de plante (par exemple un morceau de racine) de régénérer une plante entière, mais également de multiplier les racines en culture, ou encore de faire en sorte que les cellules de racines se dissocient et se multiplient individuellement, offrant là encore la possibilité de les entretenir à grande échelle en culture. (...) De plus, il est important de préciser que les milieux de culture de cellules de plantes sont des milieux extrêmement simples et peu coûteux, et que lorsqu’il s’agit des racines, très souvent la protéine produite est excrétée dans le milieu extérieur, c’est-à-dire dans le milieu de culture, ce qui simplifie encore grandement la purification. (...)

Il est donc clair que non seulement les alternatives en espace confiné existent, mais qu’en plus, celles-ci présentent des avantages incontestables par rapport aux plantes cultivées en plein champ.

B. Risques de dissémination

La production d’une substance pharmaceutique en plein champ pose bien sûr le problème majeur des risques de dissémination : il s’agit d’ouvrir la pharmacie sur la nature !

N’oublions pas qu’aux Etats-Unis, en 2002, du soja destiné à l’alimentation humaine avait été contaminé par du maïs transgénique de la société ProdiGène cultivé pour produire un vaccin porcin. Qu’il s’agisse d’une contamination par des repousses (comme c’était vraisemblablement le cas dans cette affaire) ou due à une erreur humaine, il est évident que nous ne pourrons jamais avoir les garanties d’une parfaite étanchéité entre les filières, depuis la culture jusqu’à la récolte et le stockage dans les silos (d’autant plus que le flux de graines, transportées notamment par les oiseaux ou autres animaux est bien évidemment incontrôlable !).

A ces problèmes majeurs d’absence d’étanchéité s’ajoutent les risques de dissémination par « pollution génétique », c’est-à-dire le risque que le (ou les) gène(s) étranger(s) introduit(s) volontairement dans une plante (ici le maïs) se retrouve(nt) involontairement dans une autre ou dans un autre organisme. (...) La société MERISTEM se garde bien d’aborder le problème des risques de contamination par transferts horizontaux, et s’est contentée, lorsque cet aspect a été soulevé en votre présence, de négliger ces risques, prétextant (je cite) « que ce type de transfert n’avait pas été démontré et que si toutefois ce phénomène se produisait, ce serait avec une probabilité telle qu’on pouvait le négliger ». On ne peut que s’étonner devant de telles affirmations, en particulier de la part de scientifiques, alors que ce phénomène de transfert horizontal est amplement démontré (...) .

Enfin, il est essentiel de souligner, qu’en ce qui concerne les plantes génétiquement modifiées (et à fortiori lorsqu’il s’agit de plantes-médicaments), une faible (et aussi faible soit elle) fréquence de contamination ne peut constituer un argument en faveur d’une dissémination volontaire, tout simplement en raison de l’avantage sélectif que peut éventuellement procurer le gène étranger à l’organisme qui le récupère. En effet, si le gène en question confère des propriétés avantageuses à l’organisme qui l’héberge, celui-ci pourra alors proliférer au détriment des ses congénères et des autres organismes de la même niche écologique. Cet organisme devenu transgénique par contamination (ou pollution génétique), initialement minoritaire, deviendra alors majoritaire. C’est la raison pour laquelle le risque de pollution génétique n’est pas un risque qui se dilue dans le temps, mais au contraire qui se concentre avec le temps. (...)

Aux problèmes d’étanchéité soulevés précédemment s’ajoute donc un véritable danger écologique : aucune garantie de l’absence de contamination des autres cultures et de l’environnement en général ne pourra être obtenue si un tel maïs est cultivé en plein champ. De plus, s’agissant d’un maïs produisant une protéine d’intérêt pharmaceutique, ces divers risques de dissémination s’accompagnent inévitablement de risques sanitaires.

En conclusion, ce maïs (et les plantes-médicaments en général) pourraient s’avérer redoutables tant leur culture en plein champ présente des risques non maîtrisés. De tels risques sont d’autant plus injustifiés qu’il existe, comme je l’ai détaillé dans la première partie de ce rapport, de multiple alternatives pour produire (toujours par transgenèse) cette lipase gastrique de chien en espace confiné.

%%%%%%%%%%

Post-scriptum

le 27 avril 2005, le Ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Ruralité décidait malgré tout d’autoriser, avec dix autres variétés, la culture du maïs génétiquement modifié mis au point par Meristem Therapeutics (23 ha en 2005, plus de 1600 hectares pour les prochaines années)...