Le traité : une ambiguïté qui profite au libéralisme ; une interview de Pierre Boisseau (mai 2005) Extrait de la Lettre d’attac 45 n°30 (avril-mai 2005)

Une interview de Pierre Boisseau, Maître de conférence en droit constitutionnel

Pierre Boisseau, vous êtes Docteur en droit constitutionnel. Quel regard jetez-vous sur le Traité ?

Ce traité n’est pas une véritable constitution. Une constitution précise un projet de société (déclaration des droits de l’homme) et l’organisation des pouvoirs qui va avec (exécutif, législatif, judiciaire, participation des citoyens, compétences respectives...). En aucun cas une constitution ne prévoit ce que prévoit la partie 3 du traité : un projet économique. Cette partie fixe le programme économique de l’Europe pour des décennies aux dires même de ses défenseurs ! Or en démocratie, un tel projet ne doit relever que d’un programme de gouvernement. L’économie est évidemment sujette à alternance. Ainsi, la partie 3 annihilant toute alternance est anti-démocratique par son existence même.

Une constitution doit en outre être lisible ; ce n’est pas le cas. Elle doit être rédigée par des représentants élus pour exercer le pouvoir constituant : ce n’est pas le cas. Elle doit lutter contre l’arbitraire en séparant les pouvoirs : ce n’est pas le cas (voir les pouvoirs de la commission). Enfin, une Constitution, comme toute norme, doit pouvoir être adaptée. Elle doit pouvoir être révisée. Or ce traité est conçu pratiquement comme non susceptible de révision.

Il vise en fait à annihiler ce qui reste de la souveraineté des Etats pour les soumettre à la logique ultralibérale. Il vise à détruire l’Etat qui, en figeant certains rapports de force, a pris en occident une certaine dimension sociale depuis la seconde guerre mondiale.
Un argument en faveur du traité serait qu’il est globalement plus progressiste que celui de Nice, qui est actuellement en vigueur depuis décembre 2000...

En plus de l’analyse que je viens de développer, je peux ajouter que le Traité de Nice est en fait confirmé par ce traité constitutionnel. Et comme il accentue le recours à la majorité qualifiée au détriment de l’unanimité dans la prise de décision, il risque d’accentuer en fait les méfaits liés à la logique de Nice.

Globalement, à votre sens, quelles sont les caractéristiques fondamentales du Traité ?

Une absence d’alternance économique, une impossible révision. Un texte obscur pour le citoyen. Une ambiguïté qui profite au libéralisme et rend inopérants les quelques principes humanistes de la partie I. Par exemple, contrairement à ce qui se dit, le service public n’est pas garanti par ce texte. Il ne fait référence qu’aux « services économiques d’intérêts généraux ». Et s’il aborde service public ou droits sociaux, c’est en les soumettant in fine à la logique ultralibérale.
Autre exemple : l’objectif de plein emploi, qui est dans le texte. De même qu’il est dans la constitution française, où il y a le droit d’obtenir un emploi, l’égalité hommes - femmes ; et où il ne sont pas pour autant respectés... Car ce qui compte, c’est le rapport de force économique et sociale qu’initie le texte. Et dans le cas du Traité Constitutionnel européen, le rapport est tout sauf favorable au social.

Vous avez été invité à plusieurs reprises, par des groupes d’attac ou d’autres, vous exprimer sur le Traité constitutionnel. Quelles impressions tirez-vous de ces rencontres ?

Les citoyens s’informent, participent, débattent, se réapproprient la politique ; ENFIN ! Je suis venu à ATTAC avec cet espoir. Il faut à mon avis mesurer cette capacité des citoyens à prendre part directement au débat public et la valoriser à l’avenir dans les prochaines luttes.