OGM : il faut passer du banc des accusés à celui des accusateurs - entretien avec Aurélien BERNIER (avr. 2007) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°41 (printemps 2007)

Aurélien BERNIER est coordinateur de la commission OGM d’Attac France et co-auteur de "Transgénial".

En France, les premières cultures d’OGM à caractère commercial sont apparues cette année. En quoi cette situation constitue-t-elle un élément nouveau ?

Cette percée des cultures commerciales est d’abord inquiétante parce qu’elle multiplie les risques de contamination. Le discours officiel sur la question est d’une hypocrisie incroyable. L’association des producteurs de maïs (AGPM), qui cherche par tous les moyens à favoriser les cultures génétiquement modifiées, affirme que douze rangs de maïs conventionnel autour d’une parcelle transgénique suffisent à éviter les pollutions. Volontairement, ils occultent tous les paramètres gênants : les mouvements ascendants des pollens qui peuvent générer des contaminations bien au-delà des bordures de champs, le transport par les abeilles sur plusieurs kilomètres, ou la contamination par la filière qui a pourtant été violemment démontrée l’année dernière avec l’affaire du riz transgénique.

Cette nouvelle situation doit aussi nous faire réfléchir sur nos formes de lutte. L’époque où seules des parcelles d’essais en plein champ sur de petites surfaces étaient ensemencées est bien révolue. Depuis 2006, plus personne ne peut prétendre faucher, ni même repérer, toutes les parcelles de maïs GM en France. Nous n’avons donc plus le choix : la victoire se gagnera forcément sur le terrain législatif. Or, Attac y a toujours été très active, d’abord avec les arrêtés municipaux de 2003 à 2005, puis avec la bataille contre le projet de loi en 2006. Nous devons renforcer le mouvement pour obtenir une nouvelle loi qui empêche toute culture génétiquement modifiée en France.

Dans ce contexte, quel est le rôle de l’appel d’Orléans, élaboré lors des Etats généraux des 26 et 27 février dernier ?

C’est bien pour les raisons évoquées plus haut que l’appel d’Orléans marque un tournant majeur. Il y a quelques mois, l’Autriche puis la Hongrie s’engageaient dans des moratoires sur les OGM au motif que l’évaluation de ces plantes se fait dans des conditions tellement déplorables qu’aucune garantie n’existe sur leur innocuité. Les pouvoirs publics sont si laxistes que les autorisations d’OGM sont illégales, y compris au regard de la directive 2001/18 qui était sensée favoriser leur utilisation dans l’agriculture européenne (1). L’argumentaire développé par les deux pays est assez solide pour que les États membres de l’Union européenne aient voté le maintien de ces moratoires contre l’avis de la Commission, qui, comme à son habitude, a volé au secours des lobbies industriels. Nous avons donc la preuve qu’il est possible pour n’importe quel État de stopper dès aujourd’hui les cultures GM de façon totalement légale.
Jamais autant d’organisations et de citoyens ne se sont retrouvés derrière un mot d’ordre commun sur le dossier des OGM. Nous réclamons ce moratoire, seul moyen légal d’interdire de fait les plantes transgéniques, et nous devons l’obtenir dès maintenant.

Un "non" français aux OGM pourrait-il peser sur le débat à l’échelle de l’Union européenne ?

Si la France devient le troisième État européen à prendre un moratoire, le rapport de forces dans l’Union finira de basculer en notre faveur. Dès lors, la seule solution est de construire un nouveau moratoire européen. Tant qu’une évaluation rigoureuse et indépendante n’est pas en place, aucun OGM ne doit être sorti des laboratoires. Or, nous savons que cette seule exigence rendra les OGM en plein champ non rentables et que les multinationales les abandonneront. Ce scénario ne relève absolument pas de la science-fiction, et nous n’avons jamais été aussi proche d’y parvenir.

Mais il restera ensuite à s’attaquer aux importations, ce qui n’est pas une mince affaire. 80% des OGM sont utilisés dans l’alimentation animale, et l’Europe est totalement dépendante du continent américain. Nous devons à la fois réorienter notre agriculture vers la production de protéines, développer des partenariats pour de vraies filières sans OGM hors Europe, et absolument désintensifier nos élevages hors-sol.

A ton avis, comment la lutte anti-OGM est-elle en train d’évoluer ?

Nous avons eu 500 hectares d’OGM en France en 2005, puis 5 000 en 2006, et peut-être 30 à 50 000 cette année. Nous devons intégrer cette évolution. La lutte des faucheurs a été déterminante, mais il faut à présent inverser les rôles et passer du banc des accusés à celui des accusateurs. Le procès intenté par un apiculteur pollué contre Claude Ménara, un gros producteur de maïs OGM du Sud-Ouest, est d’une très haute importance stratégique. Nous devons multiplier les offensives dans les tribunaux et, dans le même temps, forcer les élus à passer aux actes. Ce n’est pas si difficile quand on sait qu’il s’agit dans un premier temps de procéder à un simple copier/coller de la démarche autrichienne. Si nous réussissons, ce que je crois fermement, nous aurons démontré ce que signifient la convergence des luttes et la complémentarité des formes d’action.

(1) Voir « La poudre aux yeux de l’évaluation des OGM », le Monde diplomatique, novembre 2006.
http://www.monde-diplomatique.fr/2006/11/BERNIER/14137

Propos recueillis par Rémi Daviau (Attac 45) - avril 2007.