OGM : les quatre vérités de Xavier Beulin, par Florent Viallon & Rémi Daviau (automne 2007) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°43 (automne 2007)

Dans son numéro 47 en date de la semaine du 4 au 10 octobre, la Tribune d’Orléans publie une édifiante interview de Xavier Beulin. Présenté comme le « très puissant »vice-président de la FNSEA, le « très écouté » président de la fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux et le « porte-parole redouté du monde agricole », il est de surcroît président de la chambre d’agriculture du Loiret. Cet homme d’influence nous déclare, du haut de ses nombreux mandats, que « l’agriculture française ne peut vivre sans OGM ». Comme la Tribune d’Orléans consacre une bonne partie de son espace à caresser les personnes influentes dans le sens du poil, il reste évidemment peu d’espace pour l’analyse et la critique. Et comme la propagande pro-OGM peut intoxiquer qui ne prend pas garde, Attac 45 est heureuse d’aider la Tribune à décrypter le discours qu’elle reproduit à pleine colonne...

« L’agriculture française ne peut vivre sans OGM », donc. Pour nous convaincre, Xavier Beulin s’appuie sur un certain nombre d’arguments-chocs, qui ne valent que par le fait qu’ils sont obstinément martelés en dépit de toute réalité, et ce sans évolution, depuis des années.

1.Les Français, comme d’habitude, n’ont rien compris !

Il s’agit, selon lui, de « s’extraire du débat franco-français [où] un observateur pas vraiment averti [...] pourrait penser que le monde entier a tort sur les OGM sauf la France ». Dans ce cas, et pour ne parler que de l’Europe, il vaut mieux taire le moratoire sur les OGM appliqué en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en Grèce, en Hongrie et en Pologne ! Et oublions donc la large et démocratique consultation publique organisée en Grande-Bretagne en 2003 par un gouvernement pro-OGM (675 réunions publiques, 36000 questionnaires remplis), et qui a vu s’exprimer un très net refus (1). N’ébruitons pas plus l’initiative récente de 29 organisations italiennes (2) de tenir, fin 2007, plus de 1 600 manifestations et événements afin de recueillir au moins trois millions d’adhésions contre les produits agroalimentaires OGM.

Selon le très écouté Beulin, tout ceci importe peu puisque « la réalité c’est que l’Union européenne a pris une position très nette sur le sujet » et que « le principe de culture OGM est acquis ». En fait, c’est surtout la Commission européenne (qui dispose de pouvoirs exclusifs concernant l’élaboration de lois communautaires, qui est constituée de commissaires jamais élus par personne et dont le principal souci est d’imposer dans tous les domaines le dogme néolibéral : moins d’intervention publique, plus de pouvoir aux grands groupes privés, tout doit être marchandisable) qui pousse pour que les multinationales puissent expérimenter en plein champ des OGM, où et quand bon leur semble. Au fait, quel rapport tout cela peut-il bien avoir avec le fait d’être vice-président de la FNSEA ?

2.On n’est plus en démocratie !

Le porte-parole redouté du monde agricole se demande par ailleurs si « la France est encore un Etat de droit où la recherche en laboratoire et en plein champ peut encore échapper aux arrachages systématiques ». Passons sur l’arrachage en laboratoire (?!?) et contentons-nous de remarquer que toute expérimentation à l’air libre et potentiellement dangereuse est un déni du droit inscrit dans la charte de l’environnement, adossée à la Constitution, et qui stipule dans son article 1 que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Il faut préciser que la recherche sur les OGM est dirigée par des multinationales qui souhaitent devenir possesseurs du copyright d’organismes vivants, ce qui leur permettra ensuite de commercialiser ce que la nature offre de manière si scandaleuse. L’Etat n’a jamais informé objectivement les citoyens (3). Doit-il laisser oeuvrer des intérêts financiers si contraires à l’intérêt commun ? On peut effectivement s’interroger...

3.Mes OGM, bons pour la nature !

L’aspect environnemental et sanitaire n’échappe pas à Xavier Beulin, puisque qu’il met en avant « la qualité nutritive de nos produits » et « leur capacité à être cultivés selon des normes plus respectueuses de l’environnement ». Ce louable souci écologique est logiquement contrebalancé par la solution préconisée : « les biotechnologies peuvent apporter des réponses ». Évoquer les OGM comme une possible solution est un double aveu : celui du mépris des conséquences environnementales (dissémination incontrôlée des OGM, impossibilité de coexistence de cultures OGM et bios au détriment de ces dernières, contamination avérée de ruches par le pollen de maïs OGM, utilisation accrue des pesticides...) et sanitaires : les études scientifiques dignes de ce nom (c’est-à-dire non financées par les producteurs de semences OGM) prouvent que les aliments OGM augmentent les risques de cancer et diminuent l’efficacité du système immunitaire (risques accrus de maladies diverses et variées, du rhume à l’hépatite) (4).

4.Profit + intensification + productivisme = course au bonheur !

Enfin, le président de la chambre d’agriculture du Loiret ne pouvait passer sous silence l’aspect économique des OGM. Il existe, selon ce responsable avisé, « des différentiels de prix importants entre céréales OGM moins chères et non OGM ». Les différentes évaluations économiques montrent l’inverse : semences plus chères (car privées...), impossibilité de réutiliser cette semence d’une année sur l’autre (et donc achat annuel), production à l’hectare plus faible et utilisation plus importante de produits « phytosanitaires » (herbicides et pesticides) qu’il faut bien, là encore, acheter. Les paysans africains, indiens et brésiliens qui avaient cédé aux sirènes de Monsanto, Cargill et autres peuvent témoigner (du moins ceux qui ne sont pas suicidés après leur faillite). Mais là n’est pas le vrai problème : « il faut que l’agriculture française reste dans la course ». Pourquoi pas, mais quelle course ? Celle de la pollution environnementale par les OGM ? Celle du profit versé aux actionnaires des multinationales de l’agro-alimentaire ? Celle du profit d’une minorité contre l’intérêt général ? Rappelons qu’en Allemagne, le soutien à l’agriculture biologique a créé 15 000 emplois alors que le « modèle » agricole français en détruit chaque jour.

Pour conclure, cette dernière interrogation du pluri-président : « est-ce qu’on peut continuer sur le chemin de l’obsurantisme » ? Xavier Beulin, lumière injustement ignorée, est un homme pressé ; mais quiconque désire plus de précision peut commencer par lire l’article publié dans notre n°40 : « Culture d’OGM : dix ans d’échecs planétaires ! », synthèse d’un rapport qui analyse les performances des cultures GM dans le monde (1996 – 2006).

Florent Viallon & Rémi Daviau,
Attac 45.

Notes

1/ Extraits des résultats : 86 % n’aiment pas l’idée de manger des OGM et 91 % estiment qu’ils ont des effets néfastes pour l’environnement. 93 % estiment que les effets des OGM sur la santé ne sont pas assez connus, 85 % pensent que les OGM bénéficieront plus aux producteurs qu’aux citoyens, 93 % croient que cette technologie est menée par la recherche du profit plutôt que l’intérêt public.

2/ La coalition Italie-Europe libres d’OGM, qui revendique 11 millions de membres, comprend les principaux syndicats d’agriculteurs, des confédérations d’artisans et de commerçants, mais aussi des représentants de la grande distribution.

3/ Une des rares tentatives de réflexion publique et démocratique, ô combien novatrice, a été celle des conférences de citoyens, menées par la Commission française du Développement durable (dirigée par Jacques Testard). Créée en 1993, la Commission voit son président ainsi que la majorité des membres de la CFDD démissionner en 2003, afin de protester contre la censure effectuée à l’encontre de leur travail par le gouvernement de l’époque.

4/ On renonce à mentionner les études indépendantes portant sur les conséquences sanitaires et écologiques des expérimentations OGM en champ libre, tant elles commencent à être nombreuses.