Quel pari faut-il faire au sujet des OGM ? par Jean-Marie MULLER (déc. 2007)

Jean-Marie Muller, philosophe et écrivain, est président du Mouvement pour une Alternative non-violente (MAN) d’Orléans.

Pendant les deux longues journées du procès des « faucheurs volontaires » d’OGM qui s’est déroulé devant la Cour d’appel d’Orléans les 17 et 18 décembre, un thème est revenu sans cesse au cours du débat, au demeurant fort courtois, qui s‘est instauré entre, d’une part, les magistrats et, d’autre part, les prévenus, les témoins et les avocats de la défense. Ce sujet récurrent était la controverse opposant les scientifiques en ce qui concerne la dangerosité réelle de la culture en plein champ du maïs génétiquement modifié. Certains affirment qu’il existe un réel danger de diffusion de gènes provenant des OGM qui, à terme, peut avoir des conséquences gravissimes sur le plan de la santé et de l’environnement. Ce fut le point de vue exposé à la barre du tribunal par le professeur Dominique Belpomme, dont nul n’oserait contester la compétence, dans une intervention remarquable de rigueur et de clarté. D’autres scientifiques, qui jusqu’à présent semblent avoir été mieux en cour, concluent au contraire à l’absence de risque lié à l’utilisation d’OGM. (Tous au demeurant s’accordent pour reconnaître l’utilité d’expérimentations en milieu confiné pour les besoins de la recherche. Cette question n’est donc pas en débat.) Les magistrats, aussi bien le président que l’avocate générale, n’ont cessé de faire valoir ce dernier point de vue. Et, dans son réquisitoire des plus sévères, sans l’ombre d’une hésitation, la représentante du ministère public a cru pouvoir s’inviter parmi les scientifiques pour trancher de manière péremptoire cette controverse en prenant délibérément fait et cause pour l’absence de tout danger.

Un tel positionnement ne laisse pas d’étonner. Comment les citoyens, quelles que peuvent être les fonctions qu’ils occupent dans nos institutions, peuvent-ils se faire une opinion face à cette controverse ? Leur jugement ne saurait faire valoir des arguments scientifiques. Leur incompétence en cette matière ne leur permet guère de prendre parti pour les uns contre les autres. Et pourtant ils doivent faire un choix. Il leur faut en quelque sorte faire un pari. Et ici il leur est peut-être possible de conduire leur réflexion en faisant une référence oblique au raisonnement de Pascal dans son fameux pari. « « Dieu est, ou il n’est pas. » Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n’y peut rien déterminer. (…) Il se joue un jeu, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l’un ni l’autre ; par raison, vous ne pouvez défendre nul des deux. » Dès lors, la sagesse ne serait-elle pas de ne point parier ? « - Oui, mais il faut parier ; cela n’est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc ? Voyons. Puisqu’il faut choisir. Puisqu’il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager, votre raison et votre volonté. » Dès lors, il faut peser « le gain et la perte » : « En prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu’il est, sans hésiter. » Quant à celui qui gagerait que Dieu n’est pas, s’il gagne, il ne gagne rien, mais s’il perd, il perd tout. « Cela est démonstratif, conclut Pascal ; si les hommes sont capables de quelque vérité, celle-là est. »

Revenons aux OGM. Le danger existe, ou il n’existe pas. J’ai des doutes sur l’une et l’autre de ces deux propositions. Ceux qui devraient savoir ne savent pas la même chose. Mais je n’ai pas le choix : je dois parier. Car je suis embarqué. Si je gage croix que le danger existe, si je perds, je ne perds rien, mais si je gagne, je gagne tout. Si je gage pile que le danger n’existe pas, si je gagne, je ne gagne rien, mais si je perds, je perds tout. En d’autres termes, si les scientifiques qui affirment que le danger existe se trompent, ce n’est pas grave. Il n’en résulte aucune conséquence néfaste pour ma santé et celle de mes enfants. Mais si ce sont ceux qui affirment que le danger n’existe pas se trompent, c’est extrêmement grave. Il en résulte des conséquences extrêmement néfastes pour ma santé et celle de mes enfants. Donc la sagesse, c’est-à-dire la prudence, me demande de gager par précaution que le danger existe. Sans hésiter. Cela est démonstratif.

C’est précisément le raisonnement tenu par le Président de la République, Nicolas Sarkozy. Dans le discours qu’il a prononcé le 25 octobre, à l’occasion de la restitution des conclusions du Grenelle de l’environnement, à propos du dossier des OGM, il déclare : « La vérité est que nous avons des doutes sur l’intérêt actuel des OGM pesticides ; la vérité est que nous avons des doutes sur le contrôle de la dissémination des OGM ; la vérité est que nous avons des doutes sur les bénéfices sanitaires et environnementaux des OGM. (…) Je dois faire des choix. Et bien, dans le respect du principe de précaution, je souhaite que la culture commerciale des OGM pesticides soit suspendue. (…) Je prends mes responsabilités là aussi. Nous respecterons nos engagements. » Cela est démonstratif. Le débat est donc tranché. Ainsi, le Président de la République fait très précisément le même pari que les faucheurs volontaires. Et tous les observateurs reconnaissent que leur action, en créant un débat public, n’a pas pu ne pas influencer la prise de position de Nicolas Sarkozy.

Le Président de la République vient donc en quelque sorte souffler aux juges de la Cour d’appel d’Orléans le jugement qu’ils rendront le 26 février. Ils ne pourront pas ne pas donner acte aux prévenus que leurs actions étaient légitimes, bien qu’elles fussent illégales. Ils ont fait œuvre de salut public. Quoi qu’en ait dit, par mégarde, la représente du ministère public. C’est donc avec la plus grande confiance que le citoyen que je suis attends le verdict.

%%%

Vous trouverez également une interview de Jean-Marie Muller, intitulée Eloge des "désobéisseurs", sur le site de la revue Mouvements.