L’économie solidaire en Région Centre : un secteur méconnu, une réalité concrète, par Marie-Laure Jarry (hiver 2007) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°44, hiver 2007-2008

Le secteur de l’économie solidaire a été formé par des citoyens désireux de vivre simplement : « il faut vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre » disait GANDHI. Ces personnes ont décidé de replacer l’argent à sa place d’outil et de se concentrer sur l’Homme, son épanouissement, sa qualité de vie, l’environnement qui l’entoure. Cela a débouché sur de nombreuses activités novatrices : crèches parentales, commerce équitable, micro-crédit, agriculture biologique, accompagnement à la création d’activité solidaire, insertion par le travail… C’est cette diversité d’activité qui rend difficile la définition des contours de l’économie solidaire.

Les expressions économie solidaire, économie alternative, économie plurielle ou nouvelle économie sociale recouvrent un ensemble assez disparate d’activités qui sont apparues face à la montée de la pauvreté et de l’exclusion dans le dernier quart du XXe siècle, à laquelle ni l’économie administrée ni l’économie lucrative ne paraissent capables d’apporter des réponses. Toutefois, réduire l’économie solidaire à cette conjoncture économique et politique et à la fonction d’insertion de populations marginalisées par la crise serait considérablement réduire son champ d’action.

Économie sociale / solidaire ?

Selon l’IRES (1), « c’est une démarche de développement durable construite à partir des pratiques de terrain ». Son originalité est d’apporter des réponses précises et concrètes sur la possibilité d’une large démocratisation de l’économie. Ce sont des habitants, usagers ou professionnels prenant en charge la conception des services qu’ils estiment nécessaires, des entrepreneurs voulant contribuer à l’intégration de populations en difficulté, des consommateurs qui s’organisent pour vérifier la qualité des produits qu’ils achètent, des épargnants utilisant différemment leur argent. Cette diversité des démarches explique que l’économie solidaire ne se laisse pas enfermer dans un statut juridique.

Les définitions de l’économie sociale et de l’économie solidaire varient considérablement d’un pays à l’autre, voire d’un auteur à l’autre (2). Certains théoriciens estiment qu’ils sont deux concepts distincts ; d’autres mettent en exergue les pratiques et valeurs communes aux différentes initiatives. Michel ROCARD a dit un jour que le jeune rameau de l’économie solidaire s’était développé sur la vieille souche de l’économie sociale. C’est une première réponse ; elle reconnaît l’existence de deux réalités, l’une étant fondatrice de l’autre - sachant que les deux ont les mêmes racines.

L’économie sociale a une dimension juridique. Il y a trois statuts de l’économie sociale reconnus en France : les coopératives, les mutuelles et les associations. En Europe, il y en a un quatrième, les fondations. On a donc regroupé en 1981 sous un même vocable trois structures, la coopérative reconnue en 1867, la mutualité dont la charte est publiée en 1898, et l’association (loi de juillet 1901). Sur le plan institutionnel, ces trois structures ont longtemps été représentées dans les régions par des groupements de la coopération, de la mutualité, et des associations qui ont pris aujourd’hui l’appellation de Chambres Régionales de l’Economie Sociale (CRES) et parfois Solidaire (CRESS) comme en région Centre.

L’économie solidaire s’est progressivement définie à partir de pratiques individuelles et collectives confrontées à la réalité du terrain. Elle regroupe les initiatives qui développent des activités fondées sur les valeurs de partage et de développement durable (finances solidaires, commerce équitable, insertion par l’économique…). Elle a une double fonction qui consiste à produire d’une part des biens et des services, et d’autre part du lien social et de la solidarité. Depuis plus de trente ans, cette économie propose de nouvelles régulations dans l’économie, élaborées à partir d’actions menées par des citoyens associés. Il s’agit d’articuler actions collectives et actions publiques et de promouvoir des régulations tant locales qu’internationales.

Aucun secteur n’est étranger aux initiatives d’économie solidaire. Elles évoluent aussi bien dans les centres urbains qu’en milieu rural et sous des formes très variables. En outre, elles se situent aussi bien dans le secteur formel qu’informel. Leurs activités, marchandes ou non marchandes, peuvent concerner l’ensemble d’un village ou d’un quartier ou seulement un groupe spécifique, comme les femmes, les jeunes, les agriculteurs, etc.… L’économie solidaire, selon Alain LIPIETZ (3) se définit donc par la question « au nom de quoi on le fait » et non plus « sous quelle forme », comme l’économie sociale.

Utilité sociale et démocratie !

Une fois que l’on s’est accordé sur le concept de l’économie solidaire, il faut définir les caractéristiques communes aux acteurs, car leur diversité complexifie leur reconnaissance. Le point commun entre toutes les initiatives de l’économie solidaire est de développer une nouvelle forme d’entreprenariat qui utilise la création d’activités pour satisfaire d’autres buts que la maximisation du profit : des agriculteurs bio fondent une société coopérative pour maîtriser la mise en marché de leurs produits ; des travailleurs sociaux créent des entreprises d’insertion pour la collecte et le tri des déchets, etc.… Ce type d’activités représente d’ores et déjà environ 4% des emplois salariés en France. Ainsi, ces initiatives, bien qu’hétérogènes, reposent sur des principes communs (4) : respect de critères sociaux, éthiques et écologiques, création de nouvelles formes d’échange et de solidarité ou encore valorisation des spécificités locales.

Le fonctionnement de ces structures est démocratique, sans visée lucrative et autonome face à l’Etat (mis à part sur le plan financier ou certaines associations sont dépendantes des subventions et parfois à ce titre instrumentalisées par les pouvoirs publics). Les organismes de l’économie solidaire manifestent leur projet politique par la résistance à l’économie néo-libérale et à ses conséquences négatives (exclusion, pauvreté, inégalité) et par la volonté de pratiquer l’économie autrement. Bien sûr, le degré d’application de ces principes varie cependant d’une entreprise à l’autre ; de même, l’engagement politique pour « une autre société » est plus ou moins fort. Cependant, malgré la diversité des situations, tous se retrouvent autour de principes communs :
 La non lucrativité individuelle : non-répartition des profits et des réserves.
 La gestion démocratique : une personne égale une voix.
 La mixité des ressources : pour certaines structures.
 La prépondérance de l’humain.
 L’initiative collective et la créativité partagée.
 Le refus de la société de marché et des discriminations (sociales, culturelles).

En fait, il n’y a pas de catégories pré-établies mais seulement un élan humain à créer ce qui n’existe ni dans le secteur capitaliste, ni dans le secteur public. Le tiers-secteur, notion, lancée par Jacques Delors dans les années 70 et popularisée par Michel Rocard, est aujourd’hui utilisée par le parti des Verts et équivaut, dans un vocabulaire européen, au troisième système. C’est l’idée qu’aux côtés d’un secteur de l’économie administrée (le secteur public), et du secteur privé lucratif, il existe un secteur d’économie citoyenne ou communautaire, comme disent les Québécois : c’est l’économie générée par la solidarité de la société civile.

L’économie solidaire est une troisième voie : « si on vous bloque l’ascenseur et l’escalier, alors passez par la fenêtre…. » Chacun peut s’accomplir et donner du sens à son travail. Ce secteur est largement soutenu par des bénévoles, mais la création d’emploi est fondamentale et en pleine extension. En région Centre, le secteur de l’économie solidaire est facteur de croissance, la création d’emploi est importante : 9% des emplois salariés en région Centre le sont dans le secteur de l’économie sociale et solidaire (5). De plus, ces activités basées sur la proximité, le local, participent au développement durable de la région. En région Centre, l’économie solidaire est présente en particulier dans les services de proximité indispensables (crèches parentales, par exemple), l’exploitation de ressources disponibles (productions biologiques), la coopération Nord-Sud (formation de groupes locaux et transmission de savoirs), la mobilisation de fonds à investir dans l’initiative individuelle et collective (CIGALEs par exemple). Ce mouvement issu du terrain regroupe actuellement une centaine d’emplois salariés et plusieurs milliers d’adhérents en Région Centre.

En région Centre, le CRESOL

En 2002, une vingtaine d’entreprises de l’économie solidaire en région Centre ont fondé CRE-SOL, « Centre Réseau d’Economie Solidaire », une association qui se veut représentative du champ de l’économie solidaire au niveau régional, en vue de :
 promouvoir l’économie solidaire, ses objectifs, ses méthodes et ses résultats ;
 faire connaître et renforcer les outils financiers et techniques de l’aide à la création et de l’accompagnement des entreprises du secteur ;
 animer le réseau et répondre à ses besoins de formation, de communication et de représentation auprès des pouvoirs publics ;
 garantir la valeur éthique, l’authenticité et la qualité des méthodes et des productions des entreprises membres.

Afin de répondre à ses missions, CRE-SOL a mis en place des actions :
 sessions de formation « de l’idée au projet solidaire » ouverte à tous porteurs de projet et accompagnateurs à la création d’activité ;
 enquête sur les financements solidaires et l’accompagnement à la création d’activité en région Centre, l’organisation de marchés aux financements solidaires dans chaque département, puis mise en place d’un outil Internet pour prolonger la rencontre entre financeur et porteurs de projet ;
 constitution d’un guide de la consommation responsable (en chantier) ;
 Et en toile de fonds, CRE-SOL sensibilise à l’économie solidaire, accompagne la création d’activité solidaire, représente ses adhérents auprès des élus locaux.

Nous souhaitons être reconnu par la région, par les départements et par les ensembles intercommunaux ruraux ou urbains comme un interlocuteur :
 politique, pour tout ce qui concerne la définition des politiques et des stratégies de développement des initiatives et des solidarités sur les territoires,
 technique, pour l’ingénierie des dispositifs de soutien à l’économie solidaire et en général à l’initiative locale,
 financier, pour la conception, la gestion, la distribution et le contrôle des aides matérielles aux initiatives solidaires, qu’elles soient d’origine publique ou privée.

Nous ne sommes pas un syndicat professionnel ou un organisme de réflexion, mais un instrument opérationnel coopératif au service de l’économie solidaire, de ses valeurs, et des solutions concrètes qu’elle propose et apporte à des questions essentielles pour le développement de nos communautés locales.

Si le secteur n’est pas encore visible par tous en région Centre, il s’organise. Au mois de mai dernier, une soirée a été préparée collectivement pour le manifeste de l’économie solidaire « rencontre locale en région Centre » lancé nationalement par France Active (6). Au sein du CRE-SOL, nous travaillons avec huit partenaires sur un programme européen – SEMENCES (Soutenir l’émergence d’activité créatrice d’utilité sociale) (7). Actuellement, nous réalisons un guide de la consommation responsable sur la région. Il est l’occasion de créer un lien avec les acteurs de l’économie solidaire et de faire connaître au grand public les initiatives pour une autre consommation. Petit à petit l’économie solidaire en région trouve ses représentants et devient identifiable par les institutions et les citoyens.

L’économie solidaire offre de vraies opportunités pour ceux qui sont exclus soit par leur isolement (ruralité, Zones Urbaines Sensibles…) soit par leurs difficultés (professionnelles, sociales, sanitaires, économiques...) mais c’est aussi, pour une grande partie des acteurs, un choix de vie : ils décident d’utiliser leurs savoirs et savoir-faire autrement que pour rémunérer le capital. Ensemble ces personnes s’allient pour imaginer d’autres façons de faire en plaçant l’Homme et son environnement au cœur des préoccupations.

Marie-Laure Jarry
Chargée de mission au CRE-SOL

CRE-SOL : 12, rue L. Mirault - 37000 TOURS
cre-sol@wanadoo.fr

Notes :

1) IRES, (2002),Texte présenté dans le dossier parlementaire de l’Inter Réseaux Economie Solidaire, octobre.

2) Revue de la Déclaration de Berne, « Vers un développement Solidaire », N° 179, pp. 4-7.

3) LIPIETZ Alain (2000) « L’économie solidaire : "réminiscence" de l’économie sociale ? Intervention au colloque international Mochel-Marie Derrion, Lyon, 8 juin.

4) Articles tirés de la revue de la Déclaration de Berne, Vers un développement Solidaire, N° 179, pp. 4-7.

5) Etude INSEE Centre Dec. 2004

6) www.s’investir.org

7) www.alter-equal.eu