Les altermondialistes et le traité constitutionnel européen par Raoul Marc Jennar, chercheur militant et signataire de l’Appel des 200.

Paru dans l’édition du 27 décembre 2004 de l’Humanité
mardi 28 décembre 2004

« Je suis altermondialiste et je soutiens la constitution européenne », m’écrivait, il y a peu, une ancienne députée européenne du groupe des Verts. Quelques socialistes qui s’étaient montrés à Porto Alegre ou dans les forums sociaux européens m’ont dit la même chose.

De qui se moquent-ils ? La contradiction est totale entre les objectifs des altermondialistes et les contraintes du traité constitutionnel européen.

Le combat fondateur des altermondialistes visait, en 1997-1998, le projet d’accord multilatéral sur l’investissement (AMI) dont l’objectif déclaré était de « réduire ou éliminer les restrictions aux investissements étrangers directs » afin de permettre aux investisseurs d’ignorer les lois du pays où ils allaient opérer. Aujourd’hui, l’AMI est inscrit dans le traité constitutionnel européen dans des termes identiques : l’Union contribue « à la suppression progressive des restrictions aux investissements étrangers directs » (article III-314).

Un des thèmes majeurs des altermondialistes est la dénonciation de cette imposture qui consiste à faire croire que l’Organisation mondiale du commerce régule le commerce international. Aucun des accords gérés par l’OMC ne met cet objectif en oeuvre. Aucun n’impose des règles aux acteurs commerciaux. Tous - visent à déréguler les États. « Nous ne nous occupons pas du secteur privé », avouait, l’an passé, l’actuel directeur général de l’OMC. L’objectif déclaré de l’OMC est « d’intégrer les pays dans l’économie mondiale en supprimant les obstacles au commerce ». - L’article III-292 (alinéa e) du traité constitutionnel européen précise que l’Union « encourage l’intégration de tous les pays dans l’économie mondiale, y compris par la suppression des obstacles au commerce international ».

L’agriculture est l’activité principale et la seule ressource de la majorité de la population de la planète. Avec Via Campesina, réseau paysan international regroupant 200 millions de membres dont les affiliés de la Confédération paysanne française et de son équivalent européen, la Coordination paysanne européenne, avec Oxfam et la plate-forme européenne pour la souveraineté alimentaire, les altermondialistes défendent le principe de la « souveraineté alimentaire » qui entend laisser les peuples libres de choisir la manière dont ils assurent leur autosuffisance alimentaire. Ce principe est combattu avec acharnement par la Commission européenne et tous les défenseurs de ldont on connaît pourtant les contre-performances en matière d’emplois dans le monde rural, de santé publique et d’environnement. Ce principe est à l’opposé de la politique agricole commune telle qu’elle est définie dans le traité constitutionnel européen. De même, « l’uniformisation des mesures de libéralisation » poursuivie par la politique commerciale de l’Union (article III-315) est destinée à soumettre les agricultures paysannes à l’agrobusiness européen.

Les altermondialistes combattent l’accord sur les droits de propriété intellectuelle (ADPIC) de l’OMC pour trois raisons : il favorise la biopiraterie et la captation de la biodiversité par les firmes privées occidentales ; il a rendu inaccessibles les médicaments essentiels dont les prix ont flambé suite à cet accord ; il justifie, dans le domaine des semences, la création de variétés génétiquement modifiées (OGM) juridiquement protégées dont l’innocuité pour la santé n’est pas garantie, mais dont le lien de dépendance qu’il crée entre paysans et agrobusiness est réel, mettant fin ainsi à des siècles de libre disposition de leurs propres semences par les paysans. Or l’article III-315 du traité constitutionnel européen stipule que « la politique commerciale commune est fondée sur des principes uniformes, notamment en ce qui concerne les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle ». On sait à quel point la Commission européenne s’est montrée agressive dans les négociations avec l’OMC et dans les négociations bilatérales pour promouvoir le respect de ces « principes uniformes » qu’on trouve dans l’ADPIC.

On pourrait multiplier les exemples sur la libre circulation des capitaux (adieu Tobin !), sur l’application « libre et non faussée » de la liberté d’établissement et de circulation des services (adieu les services publics), sur les fonctions des États (l’article I-5 de cette constitution ne reconnaît comme fonctions essentielles que le maintien de l’ordre et la sécurité interne et externe du territoire !). C’est une évidence que les altermondialistes veulent une autre Europe que celle imposée par cette constitution européenne.

Alors, ces écolos, ces sociaux-démocrates qui se disent altermondialistes ? Éclectisme intellectuel ou racolage politicien ? Incohérence ou duplicité ?

Article dans l’humanité


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