Occuper le système agricole et alimentaire par Esther Vivas

mercredi 30 janvier 2013

On a occupé des places, des banques, des logements, des auditoriums universitaires, des hôpitaux et même des supermarchés. On a désobéi aux lois et aux pratiques injustes. Nous avons revendiqué dans la rue, dans les institutions, dans les banques, pour plus de démocratie… Une marée indignée a remis en question et en difficulté l’actuel système économique, financier et politique. Mais il est nécessaire de porter cette indignation plus loin. Et l’une des questions à résoudre, parmi de nombreuses autres, c’est d’occuper quelque chose d’aussi élémentaire que le système agricole et alimentaire

Nous devons tous manger. Nous alimenter est fondamental pour survivre mais, bien qu’il semble que ce soit le contraire, nous n’avons pas le droit de décider de ce que nous consommons. Aujourd’hui, une poignée de multinationales de l’industrie agro-alimentaire décide de ce qui est produit, comment, où et à quel prix on achète ce que nous mangeons. Des entreprises qui placent leurs propres intérêts au dessus des besoins alimentaires des personnes et qui font business avec une chose aussi indispensable que la nourriture.

C’est pour cela que, dans un monde où l’ont produit plus d’aliments qu’à aucune période de l’histoire, 870 millions de personnes souffrent de la faim. Si vous n’avez pas d’argent pour payer le prix, chaque jour plus cher, des aliments ni n’avez accès aux ressources naturelles comme la terre, l’eau, les semences, alors vous ne mangez pas.
Ainsi, selon la FAO, 75% de la diversité agricole aurait disparue au cours de ces cent dernières années. On produit en fonction des intérêts du marché, en optant pour des variétés résistantes au transport de longue distance et qui ont un aspect optimal, en laissant de côté d’autres critères non marchands. L’appauvrissement de la paysannerie est une autre des conséquences du système agro-industriel actuel. On met le paquet en faveur d’un modèle agraire qui piétine les savoirs paysans, qui subventionne l’agro-industrie et où l’agriculture familiale et à petite échelle n’a aucune place.

Un système dans lequel les aliments voyagent en moyenne 5.000 kilomètres avant d’atterrir dans notre assiette. On privilégie, d’une part, la production dans les pays du Sud en exploitant sa main d’œuvre et en profitant de législations environnementales très laxistes, pour ensuite vendre le produit chez nous. Et, d’autre part, des multinationales subventionnées avec de l’argent public produisent en Europe et aux Etats-Unis très au dessus de la demande locale et vendent à l’autre bout de la planète leurs excédents en dessous des coûts de production, exerçant ainsi une concurrence déloyale aux producteurs du Sud. Les paysans du monde sont les grands perdants de ce modèle d’agriculture globalisé au service des intérêts du capital.

Conclusion : nous subissons actuellement un modèle d’agriculture irrationnel qui génère la faim, la pauvreté, l’inégalité, la destruction environnementale, et qui ne se justifie que parce qu’il offre de plantureux profits aux multinationales qui monopolisent le secteur. Il n’y a pas de démocratie dans le système agro-alimentaire. Et c’est pour cela qu’il est nécessaire de revendiquer cette « démocratie réelle » également dans le modèle actuel de production, de distribution et de consommation alimentaire.

Si quelque a caractérisé le Mouvement du 15-M (dans l’Etat espagnol, NdT), c’est qu’il a commencé à construire ici et maintenant cet « autre monde possible » que nous revendiquons. En affirmant que d’autres modèles économiques, sociaux, de consommation, énergétiques, de soins, etc. sont possibles. De l’occupation des places nous sommes passés à l’occupation des terres pour cultiver des potagers urbains, on a créé des réseaux d’échanges, on a organisé des groupes de consommation agro-écologique. Généralisons ces pratiques. Et exigeons la souveraineté alimentaire. Pour décider à nouveau de ce que nous mangeons, pour que les paysans aient accès aux ressources naturelles, pour qu’on ne spécule pas avec la nourriture, pour promouvoir une agriculture locale, paysanne et de qualité. Occupons le système agro-alimentaire. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons garantir que l’alimentation soit un droit pour tous et non un privilège pour quelques uns.

*Article publié dans la revue « Números rojos », nº5.
** Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera.

Esther Vivas est née en 1975 à Sabadell (Etat espagnol). Elle est une militante et auteure de plusieurs livres et de publications sur les mouvements sociaux, la consommation responsable et le développement durable. Elle a publié en français En campagne contre la dette (Syllepse, 2008) et est coordinatrice des livres en espagnol Supermarchés, non merci et Où va le commerce équitable ?, notamment.

Elle a activement participé au mouvement anti-globalisation et anti-guerre à Barcelone, de même qu’elle a contribué à plusieurs éditions du Forum Social Mondial, du Forum Social Européen et du Forum Social Catalan. Elle travaille actuellement sur des questions comme la souveraineté alimentaire et le commerce équitable.

Elle fait partie de Izquierda Anticapitalista [Gauche Anticapitaliste] à l’Etat espagnol et notamment de Revolta Global-Esquerra Anticapitalista en Catalogne (qui est une organisation politique catalane anticapitaliste, révolutionnaire, écologiste, féministe et internationaliste). Elle a été la tête de liste de Izquierda Anticapitalista aux élections du Parlement Européen en 2009.
Elle est membre de la rédaction de la revue Viento Sur et elle collabore fréquemment avec des médias conventionnels tels que Público et avec des médias alternatifs comme El Viejo Topo, The Ecologist, Ecología Política, Diagonal, La Directa, entre autres.

Elle est également membre du Centre d’Études sur les Mouvements Sociaux (CEMS) à l’Université Pompeu Fabra, elle collabore avec l’Institut de Gouvernement y Politiques Publiques (IGOP) à l’Université Autonome de Barcelone. Elle travaille dans la Red de Consumo Solidario [Réseau de Consommation Solidaire
(http://esthervivas.com/francais/)


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